25 février 2006

Les Djinns (Victor Hugo)

Murs, ville
Et port,
Asile
De mort,
Mer grise
Où brise
La brise
Tout dort.

Dans la plaine
Naît un bruit.
C'est l'haleine
De la nuit.
Elle brame
Comme une âme
Qu'une flamme
Toujours suit.

La voix plus haute
Semble un grelot.
D'un nain qui saute
C'est le galop.
Il fuit, s'élance,
Puis en cadence
Sur un pied danse
Au bout d'un flot.

La rumeur approche,
L'écho la redit.
C'est comme la cloche
D'un couvent maudit,
Comme un bruit de foule
Qui tonne et qui roule
Et tantôt s'écroule
Et tantôt grandit.

Dieu! La voix sépulcrale
Des Djinns !... - Quel bruit ils font !
Fuyons sous la spirale
De l'escalier profond !
Déjà s'éteint ma lampe,
Et l'ombre de la rampe..
Qui le long du mur rampe,
Monte jusqu'au plafond.

C'est l'essaim des Djinns qui passe,
Et tourbillonne en sifflant.
Les ifs, que leur vol fracasse,
Craquent comme un pin brûlant.
Leur troupeau lourd et rapide,
Volant dans l'espace vide,
Semble un nuage livide
Qui porte un éclair au flanc.

Ils sont tout près ! - Tenons fermée
Cette salle où nous les narguons
Quel bruit dehors ! Hideuse armée
De vampires et de dragons !
La poutre du toit descellée
Ploie ainsi qu'une herbe mouillée,
Et la vieille porte rouillée,
Tremble, à déraciner ses gonds.

Cris de l'enfer ! voix qui hurle et qui pleure !
L'horrible essaim, poussé par l'aquillon,
Sans doute, ô ciel ! s'abat sur ma demeure.
Le mur fléchit sous le noir bataillon.
La maison crie et chancelle penchée,
Et l'on dirait que, du sol arrachée,
Ainsi qu'il chasse une feuille séchée,
Le vent la roule avec leur tourbillon !

Prophète ! Si ta main me sauve
De ces impurs démons des soirs,
J'irai prosterner mon front chauve
Devant tes sacrés encensoirs !
Fais que sur ces portes fidèles
Meure leur souffle d'étincelles,
Et qu'en vain l'ongle de leurs ailes
Grince et crie à ces vitraux noirs !

Ils sont passés ! - Leur cohorte
S'envole et fuit, et leurs pieds
Cessent de battre ma porte
De leurs coups multipliés.
L'air est plein d'un bruit de chaînes,
Et dans les forêts prochaines
Frissonnent tous les grands chênes,
Sous leur vol de feu pliés !

De leurs ailes lointaines
Le battement décroît.
Si confus dans les plaines,
Si faible, que l'on croit
Ouïr la sauterelle
Crier d'une voix grêle
Ou pétiller la grêle
Sur le plomb d'un vieux toit.

D'étranges syllabes
Nous viennent encor.
Ainsi, des Arabes
Quand sonne le cor,
Un chant sur la grève
Par instants s'élève,
Et l'enfant qui rêve
Fait des rêves d'or.

Les Djinns funèbres,
Fils du trépas,
Dans les ténèbres
Pressent leur pas ;
Leur essaim gronde ;
Ainsi, profonde,
Murmure une onde
Qu'on ne voit pas.

Ce bruit vague
Qui s'endort,
C'est la vague
Sur le bord ;
C'est la plainte
Presque éteinte
D'une sainte
Pour un mort.

On doute
La nuit...
J'écoute : -
Tout fuit,
Tout passe ;
L'espace
Efface
Le bruit.

12 février 2006

Le fanatisme, ou Mahomet le prophète, de Voltaire


La pièce de Voltaire Le fanatisme ou Mahomet le Prophète a été condamnée et interdite une première fois lors de sa création, en 1741, par le parlement de Paris et les autorités religieuses. Elle n'avait connu que trois représentations. Elle a ensuite été interdite à nouveau, pour la dernière fois à notre connaissance, à Genève, en 1994, alors qu'elle devait être montée à l'occasion du 300ème anniversaire de la naissance de Voltaire.

ACTE 0 SCENE 1
La scène est à la Mecque.
Zopire, Phanor.
Zopire
Qui ? Moi, baisser les yeux devant ses faux prodiges !
Moi, de ce fanatique encenser les prestiges !
L' honorer dans la Mecque après l'avoir banni !
Non. Que des justes dieux Zopire soit puni
si tu vois cette main, jusqu'ici libre et pure,
caresser la révolte et flatter l'imposture !

Phanor
Nous chérissons en vous ce zèle paternel
du chef auguste et saint du sénat d'Ismaël ;
mais ce zèle est funeste ; et tant de résistance,
sans lasser Mahomet, irrite sa vengeance.
Contre ses attentats vous pouviez autrefois
lever impunément le fer sacré des lois,
et des embrasements d'une guerre immortelle
étouffer sous vos pieds la première étincelle.
Mahomet citoyen ne parut à vos yeux
qu'un novateur obscur, un vil séditieux :
aujourd'hui, c'est un prince ; il triomphe, il domine ;
imposteur à la Mecque, et prophète à Médine,
il sait faire adorer à trente nations
tous ces mêmes forfaits qu'ici nous détestons.
Que dis-je ? En ces murs même une troupe égarée,
des poisons de l'erreur avec zèle enivrée,
de ses miracles faux soutient l'illusion,
répand le fanatisme et la sédition,
appelle son armée, et croit qu'un dieu terrible
l'inspire, le conduit, et le rend invincible.
Tous nos vrais citoyens avec vous sont unis ;
mais les meilleurs conseils sont-ils toujours suivis ?
L'amour des nouveautés, le faux zèle, la crainte,
de la Mecque alarmée ont désolé l'enceinte ;
et ce peuple, en tout temps chargé de vos bienfaits,
crie encore à son père, et demande la paix.

Zopire
La paix avec ce traître ! Ah ! Peuple sans courage,
n'en attendez jamais qu'un horrible esclavage :
allez, portez en pompe, et servez à genoux
l'idole dont le poids va vous écraser tous.
Moi, je garde à ce fourbe une haine éternelle ;
de mon coeur ulcéré la plaie est trop cruelle :
lui-même a contre moi trop de ressentiments.
Le cruel fit périr ma femme et mes enfants :
et moi, jusqu'en son camp j'ai porté le carnage ;
la mort de son fils même honora mon courage.
Les flambeaux de la haine entre nous allumés
jamais des mains du temps ne seront consumés.

Phanor
Ne les éteignez point, mais cachez-en la flamme ;
immolez au public les douleurs de votre âme.
Quand vous verrez ces lieux par ses mains ravagés,
vos malheureux enfants seront-ils mieux vengés ?
Vous avez tout perdu, fils, frère, épouse, fille ;
ne perdez point l'état : c' est là votre famille.

Zopire
On ne perd les états que par timidité.

Phanor
On périt quelquefois par trop de fermeté.

Zopire
Périssons, s'il le faut.

Phanor
Ah ! Quel triste courage,
quand vous touchez au port, vous expose au naufrage ?
Le ciel, vous le voyez, a remis en vos mains
de quoi fléchir encor ce tyran des humains.
Cette jeune Palmire en ses camps élevée,
dans vos derniers combats par vous-même enlevée,
semble un ange de paix descendu parmi nous,
qui peut de Mahomet apaiser le courroux.
Déjà par ses hérauts il l'a redemandée.

Zopire
Tu veux qu'à ce barbare elle soit accordée ?
Tu veux que d'un si cher et si noble trésor
ses criminelles mains s'enrichissent encor ?
Quoi ! Lorsqu'il nous apporte et la fraude et la guerre,
lorsque son bras enchaîne et ravage la terre,
les plus tendres appas brigueront sa faveur,
et la beauté sera le prix de la fureur !
Ce n'est pas qu'à mon âge, aux bornes de ma vie,
je porte à Mahomet une honteuse envie ;
ce coeur triste et flétri, que les ans ont glacé,
ne peut sentir les feux d'un désir insensé.
Mais soit qu'en tous les temps un objet né pour plaire
arrache de nos voeux l'hommage involontaire ;
soit que, privé d' enfants, je cherche à dissiper
cette nuit de douleurs qui vient m'envelopper ;
je ne sais quel penchant pour cette infortunée
remplit le vide affreux de mon âme étonnée.
Soit faiblesse ou raison, je ne puis sans horreur
la voir aux mains d' un monstre, artisan de l'erreur.
Je voudrais qu'à mes voeux heureusement docile,
elle-même en secret pût chérir cet asile ;
je voudrais que son coeur, sensible à mes bienfaits,
détestât Mahomet autant que je le hais.
Elle veut me parler sous ces sacrés portiques,
non loin de cet autel de nos dieux domestiques ;
elle vient, et son front, siége de la candeur,
annonce en rougissant les vertus de son coeur.

L'intégralité de la pièce de Voltaire est publiée par l'Institut National de la Langue Française (INaLF).

03 février 2006

Barbares d'Occident

« Quelle puissance de rêve est comparable à la nôtre ? »
François Augiéras
Barbares d'Occident : le son