07 décembre 2007

Escales Hivernales 2007


Tout au long de l’année 2007, de nombreux écrivains ont participé aux rencontres littéraires proposées par Escales des Lettres dans la région Nord Pas-de-Calais : cafés littéraires, résidences itinérantes, programme détours d’auteurs, ateliers d’écriture, rencontres du Printemps des Poètes et de Lire en fête. Ces auteurs, rejoints par d’autres écrivains, par Philippe Lefait, Jacques Bonnaffé et par de nombreux participants (libraires, éditeurs et associations de la région) se donnent et vous donnent rendez-vous pour une ultime escale (hivernale) à la Chambre de Commerce de Lille, le dimanche 9 décembre à partir de 14 heures, pour participer à des débats, des cafés littéraires, des ateliers d’écriture, des lectures…

Toute l'info sur le site d'Escales des Lettres, y compris la vidéo de l'édition 2006.

10 novembre 2007

Question

Est-ce que tu as vraiment besoin d'un flash quand tu photographies un lapin qui a déjà les yeux rouges ?

31 octobre 2007

J'ai (très) mal au travail

Un article d'Ella Marder (Rue89)
31/10/2007

Stress, dépression, violence, harcèlement, suicide : le travail, qui occupe une place centrale dans nos vies, est de plus en plus associé à la souffrance, dans les enquêtes de l'Insee comme dans les conversations. Cet amer constat a poussé le virtuose du film documentaire Jean-Michel Carré à s'intéresser dans "J'ai (très) mal au travail" à la montée du "mal-être" au boulot.


Ce documentariste reconnu a été moult fois primé, entre autres pour Charbons ar-dents en 1999, l'histoire de mineurs de charbon du pays de Galles qui prirent le ris-que de racheter leur outil de travail pour s'assurer un destin; et Sur le fil du refuge en 2000, qui racontait l'accueil et l'aide aux chômeurs de travailleurs sociaux.
Il a mené pendant plus d'un an une enquête et une réflexion de fond sur le rapport qu'entretiennent les Français avec le travail, cet "obscur objet de haine et de désir", et sa nouvelle organisation orchestrée par les toutes dernières méthodes de management.
Le film, déjà diffusé sur Canal+ en 2006, sort ce mercredi en salles. Il retentit et nous questionne : qu'est-ce que le travail pour chacun de nous ? Quelle place occupe-t-il au niveau de notre construction identitaire, dans notre participation au monde et que pourrait-il être ? Que sommes-nous prêts à sacrifier à cet élément essentiel de notre vie ? En quoi l'indéniable allégeance envers un mode de répartition capitaliste nous comble ou, au contraire, nous épuise ? Au prix de quels bonheurs et de quelles dou-leurs, enfin, le salarié fabrique, résiste, crée, s'épanouit ou craque ?
"Le travail est un carrefour de valeurs différentes et de finalités divergentes", explique le réalisateur dans sa note d'intention:
"Je me suis demandé quels étaient ses enjeux, les lignes de force qui le traversaient, pour répondre à quels objectifs contradictoires, au bénéfice de qui ? Puis, comment ces lignes de force transformaient le travail, ses conditions d'exécution, son organisa-tion même. Enfin, j'ai voulu montrer quelles étaient ces nouvelles méthodes de ma-nagement, et de quelle manière les cabinets spécialisés qui les promulguaient inves-tissaient les entreprises."
Le dossier de presse du film énumère des statistiques qui font froid dans le dos:
* En dix ans, les troubles musculo-squelettiques sont passés de 1000 à 35 000 par an.
* En 2005, il y a eu 760 000 accidents du travail en France. Deux personnes par jour meurent dans des accidents du travail.
* Deux millions de salariés subissent du harcèlement mental et des maltraitances, 500 000 sont victimes de harcèlement sexuel.
* Le coût annuel des accidents du travail, des maladies professionnelles et de la mal-traitance s'élève à 70 milliards d'euros pour l'Etat et les entreprises.
* Sur cinq ans, on a constaté plus de 1000 tentatives de suicide sur les lieux de travail en France, dont 47% ont été suivies de décès.
* 10% des dépenses de la sécurité sociale sont directement liées aux maladies profes-sionnelles.
* Eczéma, insomnies, alertes cardiaques, troubles musculo-squelettiques, ulcères, cancers, dépressions, tentatives de suicide sont les conséquences les plus fréquentes des maltraitances sur les lieux de travail.
* Durant la dernière année juridictionnelle, les tribunaux aux prud'hommes ont traité 250 000 litiges.
Objectivement mais non sans ironie, Carré dresse tout au long du film le tableau d'une déshumanisation presque totale du monde du travail : peur du chômage, isolement dans l'entreprise, compétition avec les collègues... tout ce qui, en fait, réduit doucement mais sûrement l'individu à "sa seule dimension économique".
Par un montage habile de témoignages alarmants (travailleurs, sociologues, thérapeutes), de pubs édifiantes et d'extraits de films cocasses, "J'ai (très) mal au travail" fait l'effet implacable d'un film d'horreur. On sort de là affolés, bousculés dans notre torpeur ambiante et désireux de réagir, même à petite échelle.
J’ai (très) mal au travailfilm documentaire de Jean-Michel Carré – 1h30

27 octobre 2007

An Pierlé & White Velvet


C'était à Ieper vendredi soir. On dit qu'il y a du Patti Smith dans cette chanteuse-là, et c'est vrai. On parle aussi de Dostoïevski, mais c'est moins facile à distinguer au delà de la frontière linguistique. Quelle voix ! Quelle présence ! J'irais bien la voir en pays francophone pour comprendre de quoi elle parle quand elle fait le clown entre deux chansons.

Strombeek - Belgium 27.10.2007 CC Strombeek
Arlon - Belgium 31.10.2007 Maison Culture
Mechelen - Belgium 01.11.2007 CC Mechelen
Eeklo - Belgium 02.11.2007 CC De Herbakker
Halle - Belgium 03.11.2007 CC 't Vondel
Nivelles - Belgium 08.11.2007 Waux-Hall
Dinant - Belgium 10.11.2007 CC Dinant
La Louvière - Belgium 16.11.2007 La Louvière
La Talaudiere - France 01.12.2007 Centre Culturel Le Sou
Allonnes - France 06.12.2007 Salle Jean Carmet
Valenciennes - France 08.12.2007 Phenix


23 octobre 2007

Ecriture

Sources (9) : La main d'écorché (Maupassant)

Il y a huit mois environ, un de mes amis, Louis R..., avait réuni, un soir, quelques camarades de collège ; nous buvions du punch et nous fumions en causant littérature, peinture, et en racontant, de temps à autre, quelques joyeusetés, ainsi que cela se pratique dans les réunions de jeunes gens. Tout à coup la porte s'ouvre toute grande et un de mes bons amis d'enfance entre comme un ouragan. "Devinez d'où je viens, s'écria-t-il aussitôt. - Je parie pour Mabille, répond l'un, - non, tu es trop gai, tu viens d'emprunter de l'argent, d'enterrer ton oncle, ou de mettre ta montre chez ma tante, reprend un autre. - Tu viens de te griser, riposte un troisième, et comme tu as senti le punch chez Louis, tu es monté pour recommencer. - Vous n'y êtes point, je viens de P... en Normandie, où j'ai été passer huit jours et d'où je rapporte un grand criminel de mes amis que je vous demande la permission de vous présenter." A ces mots, il tira de sa poche une main d'écorché ; cette main était affreuse, noire, sèche, très longue et comme crispée, les muscles, d'une force extraordinaire, étaient retenus à l'intérieur et à l'extérieur par une lanière de peau parcheminée, les ongles jaunes, étroits, étaient restés au bout des doigts ; tout cela sentait le scélérat d'une lieue. "Figurez-vous, dit mon ami, qu'on vendait l'autre jour les défroques d'un vieux sorcier bien connu dans toute la contrée ; il allait au sabbat tous les samedis sur un manche à balai, pratiquait la magie blanche et noire, donnait aux vaches du lait bleu et leur faisait porter la queue comme celle du compagnon de saint Antoine. Toujours est-il que ce vieux gredin avait une grande affection pour cette main, qui, disait-il, était celle d'un célèbre criminel supplicié en 1736, pour avoir jeté, la tête la première, dans un puits sa femme légitime, ce quoi faisant je trouve qu'il n'avait pas tort, puis pendu au clocher de l'église le curé qui l'avait marié. Après ce double exploit, il était allé courir le monde et dans sa carrière aussi courte que bien remplie, il avait détroussé douze voyageurs, enfumé une vingtaine de moines dans leur couvent et fait un sérail d'un monastère de religieuses. - Mais que vas-tu faire de cette horreur ? nous écriâmes-nous. - Eh parbleu, j'en ferai mon bouton de sonnette pour effrayer mes créanciers. - Mon ami, dit Henri Smith, un grand Anglais très flegmatique, je crois que cette main est tout simplement de la viande indienne conservée par le procédé nouveau, je te conseille d'en faire du bouillon. - Ne raillez pas, messieurs, reprit avec le plus grand sang-froid un étudiant en médecine aux trois quarts gris, et toi, Pierre, si j'ai un conseil à te donner, fais enterrer chrétiennement ce débris humain, de crainte que son propriétaire ne vienne te le redemander ; et puis, elle a peut-être pris de mauvaises habitudes cette main, car tu sais le proverbe : "Qui a tué tuera." - Et qui a bu boira", reprit l'amphitryon. Là-dessus il versa à l'étudiant un grand verre de punch, l'autre l'avala d'un seul trait et tomba ivre-mort sous la table. Cette sortie fut accueillie par des rires formidables, et Pierre élevant son verre et saluant la main : "Je bois, dit-il, à la prochaine visite de ton maître", puis on parla d'autre chose et chacun rentra chez soi.
Le lendemain, comme je passais devant sa porte, j'entrai chez lui, il était environ deux heures, je le trouvai lisant et fumant. "Eh bien, comment vas-tu ? lui dis-je. - Très bien, me répondit-il. - Et ta main ? - Ma main, tu as dû la voir à ma sonnette où je l'ai mise hier soir en rentrant, mais à ce propos figure-toi qu'un imbécile quelconque, sans doute pour me faire une mauvaise farce, est venu carillonner à ma porte vers minuit ; j'ai demandé qui était là, mais comme personne ne me répondait, je me suis recouché et rendormi."
En ce moment, on sonna, c'était le propriétaire, personnage grossier et fort impertinent. Il entra sans saluer. "Monsieur, dit-il à mon ami, je vous prie d'enlever immédiatement la charogne que vous avez pendue à votre cordon de sonnette, sans quoi je me verrai forcé de vous donner congé. - Monsieur, reprit Pierre avec beaucoup de gravité, vous insultez une main qui ne le mérite pas, sachez qu'elle a appartenu à un homme fort bien élevé." Le propriétaire tourna les talons et sortit comme il était entré. Pierre le suivit, décrocha sa main et l'attacha à la sonnette pendue dans son alcôve. "Cela vaut mieux, dit-il, cette main, comme le "Frère, il faut mourir" des Trappistes, me donnera des pensées sérieuses tous les soirs en m'endormant." Au bout d'une heure je le quittai et je rentrai à mon domicile.
Je dormis mal la nuit suivante, j'étais agité, nerveux ; plusieurs fois je me réveillai en sursaut, un moment même je me figurai qu'un homme s'était introduit chez moi et je me levai pour regarder dans mes armoires et sous mon lit ; enfin, vers six heures du matin, comme je commençais à m'assoupir, un coup violent frappé à ma porte, me fit sauter du lit ; c'était le domestique de mon ami, à peine vêtu, pâle et tremblant. "Ah monsieur ! s'écria-t-il en sanglotant, mon pauvre maître qu'on a assassiné." Je m'habillai à la hâte et je courus chez Pierre. La maison était pleine de monde, on discutait, on s'agitait, c'était un mouvement incessant, chacun pérorait, racontait et commentait l'événement de toutes les façons. Je parvins à grand-peine jusqu'à la chambre, la porte était gardée, je me nommai, on me laissa entrer. Quatre agents de la police étaient debout au milieu, un carnet à la main, ils examinaient, se parlait bas de temps en temps et écrivaient ; deux docteurs causaient près du lit sur lequel Pierre était étendu sans connaissance. Il n'était pas mort, mais il avait un aspect effrayant. Ses yeux démesurément ouverts, ses prunelles dilatées semblaient regarder fixement avec une indicible épouvante une chose horrible et inconnue, ses doigts étaient crispés, son corps, à partir du menton, était recouvert d'un drap que je soulevai. Il portait au cou les marques de cinq doigts qui s'étaient profondément enfoncés dans la chair, quelques gouttes de sang maculaient sa chemise. En ce moment une chose me frappa, je regardai par hasard la sonnette de son alcôve, la main d'écorché n'y était plus. Les médecins l'avaient sans doute enlevée pour ne point impressionner les personnes qui entreraient dans la chambre du blessé, car cette main était vraiment affreuse. Je ne m'informai point de ce qu'elle était devenue.
Je coupe maintenant, dans un journal du lendemain, le récit du crime avec tous les détails que la police a pu se procurer. Voici ce qu'on y lisait :
"Un attentat horrible a été commis hier sur la personne d'un jeune homme, M. Pierre B..., étudiant en droit, qui appartient à une des meilleures familles de Normandie. Ce jeune homme était rentré chez lui vers dix heures du soir, il renvoya son domestique, le sieur Bouvin, en lui disant qu'il était fatigué et qu'il allait se mettre au lit. Vers minuit, cet homme fut réveillé tout à coup par la sonnette de son maître qu'on agitait avec fureur. Il eut peur, alluma une lumière et attendit ; la sonnette se tut environ une minute, puis reprit avec une telle force que le domestique, éperdu de terreur, se précipita hors de sa chambre et alla réveiller le concierge, ce dernier courut avertir la police et, au bout d'un quart d'heure environ, deux agents enfonçaient la porte. Un spectacle horrible s'offrit à leurs yeux, les meubles étaient renversés, tout annonçait qu'une lutte terrible avait eu lieu entre la victime et le malfaiteur. Au milieu de la chambre, sur le dos, les membres raides, la face livide et les yeux effroyablement dilatés, le jeune Pierre B... gisait sans mouvement ; il portait au cou les empreintes profondes de cinq doigts. Le rapport du docteur Bourdeau, appelé immédiatement, dit que l'agresseur devait être doué d'une force prodigieuse et avoir une main extraordinairement maigre et nerveuse, car les doigts qui ont laissé dans le cou comme cinq trous de balle s'étaient presque rejoints à travers les chairs. Rien ne peut faire soupçonner le mobile du crime, ni quel peut en être l'auteur. La justice informe."
On lisait le lendemain dans le même journal :
"M. Pierre B..., la victime de l'effroyable attentat que nous racontions hier, a repris connaissance après deux heures de soins assidus donnés par M. le docteur Bourdeau. Sa vie n'est pas en danger, mais on craint fortement pour sa raison ; on n'a aucune trace du coupable."
En effet, mon pauvre ami était fou ; pendant sept mois j'allai le voir tous les jours à l'hospice où nous l'avions placé, mais il ne recouvra pas une lueur de raison. Dans son délire, il lui échappait des paroles étranges et, comme tous les fous, il avait une idée fixe, il se croyait toujours poursuivi par un spectre. Un jour, on vint me chercher en toute hâte en me disant qu'il allait plus mal, je le trouvai à l'agonie. Pendant deux heures, il resta fort calme, puis tout à coup, se dressant sur son lit malgré nos efforts, il s'écria en agitant les bras et comme en proie à une épouvantable terreur : "Prends-la ! prends-la ! Il m'étrangle, au secours, au secours !" Il fit deux fois le tour de la chambre en hurlant, puis il tomba mort, la face contre terre.
Comme il était orphelin, je fus chargé de conduire son corps au petit village de P... en Normandie, où ses parents étaient enterrés. C'est de ce même village qu'il venait, le soir où il nous avait trouvés buvant du punch chez Louis R... et où il nous avait présenté sa main d'écorché. Son corps fut enfermé dans un cercueil de plomb, et quatre jours après, je me promenais tristement avec le vieux curé qui lui avait donné ses premières leçons, dans le petit cimetière où l'on creusait sa tombe. Il faisait un temps magnifique, le ciel tout bleu ruisselait de lumière, les oiseaux chantaient dans les ronces du talus, où bien des fois, enfants tous deux, nous étions venus manger des mûres. Il me semblait encore le voir se faufiler le long de la haie et se glisser par le petit trou que je connaissais bien, là-bas, tout au bout du terrain où l'on enterre les pauvres, puis nous revenions à la maison, les joues et les lèvres noires de jus des fruits que nous avions mangés ; et je regardai les ronces, elles étaient couvertes de mûres ; machinalement j'en pris une, et je la portai à ma bouche ; le curé avait ouvert son bréviaire et marmottait tout bas ses oremus, et j'entendais au bout de l'allée la bêche des fossoyeurs qui creusaient la tombe. Tout à coup, ils nous appelèrent, le curé ferma son livre et nous allâmes voir ce qu'ils nous voulaient. Ils avaient trouvé un cercueil. D'un coup de pioche, ils firent sauter le couvercle et nous aperçûmes un squelette démesurément long, couché sur le dos, qui, de son oeil creux, semblait encore nous regarder et nous défier ; j'éprouvai un malaise, je ne sais pourquoi j'eus presque peur. "Tiens ! s'écria un des hommes, regardez donc, le gredin a un poignet coupé, voilà sa main." Et il ramassa à côté du corps une grande main desséchée qu'il nous présenta. "Dis donc, fit l'autre en riant, on dirait qu'il te regarde et qu'il va te sauter à la gorge pour que tu lui rendes sa main. - Allons mes amis, dit le curé, laissez les morts en paix et refermez ce cercueil, nous creuserons autre part la tombe de ce pauvre monsieur Pierre.
Le lendemain tout était fini et je reprenais la route de Paris après avoir laissé cinquante francs au vieux curé pour dire des messes pour le repos de l'âme de celui dont nous avions ainsi troublé la sépulture.

Guy de Maupassant : La main d'écorché.
Texte publié dans L'Almanach lorrain de Pont-à-Mousson de 1875 sous la signature de Joseph Prunier.
Et sur Internet par Rémi Charest et Thierry Selva

04 septembre 2007

Pour ceux qui n'auraient pas encore compris

Le monde dans lequel nous vivons depuis une quarantaine d'années change plus vite qu'on ne croit. Vérifiez-le en cliquant ici et réjouissez d'avoir encore pour quelques temps la possibilité de le faire.

28 août 2007

L'odeur des livres

Tous les passionnés de lecture le savent : les livres ont une odeur. Or, cette qualité est insensible dans les librairies en ligne. Pour relancer les ventes d'ouvrages sur Internet, le site CafeScribe.com a annoncé, mercredi 22 août, la création du "premier livre électronique odorant au monde".

A partir du mois de septembre, les clients de ce site américain devraient recevoir en plus de leur commande un autocollant au parfum de "vieux livre". "Collé sur l'ordinateur, il donnera aux livres électroniques la même odeur de suranné que les clients apprécient avec leurs vieux livres imprimés, sans aucun résidu d'ADN comme on en trouve souvent collé aux pages de livres qui ont été très utilisés", précise le patron de CafeScribe, Bryce Johnson.

Selon une étude menée auprès de 600 étudiants entre le 15 et le 21 août par l'institut de sondage Zogby International, 43 % des personnes interrogées considèrent que l'odeur d'un ouvrage ou d'un objet est une qualité essentielle. Six étudiants sur dix préfèrent acheter des livres d'occasion plutôt que des livres neufs ou au format électronique bien que ceux-ci soient un tiers moins chers. - (Reuters.)

Le Monde, article paru dans l'édition du 26.08.07.

20 juillet 2007

Pour que vive la politique du livre

Le rapport de Sophie Barluet est en ligne.
Synthèse de onze tables rondes qui ont réuni entre septembre 2006 et février 2007 plus de 200 professionnels, il offre sur 148 pages une réflexion de fond et propose 50 actions pour faire vivre la chaîne du livre en intégrant ce qu'il est convenu d'appeler la révolution numérique. Auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires, associations... tous participent à ce système qui permet qu'un lecteur rencontre une texte et c'est à une véritable approche systémique qu'invite ce rapport.
Pour le télécharger (pdf), cliquer ici

03 juillet 2007

L'amour est très surestimé


"Quand je vois autour de nous le vertige des naufrages amoureux, l'illusion de la liberté tant convoitée, le fantasme de l'instant exalté, de la jouissance sans limites, quand j'entends les conversations alimentées par la douleur d'aimer ou de ne plus aimer, quand je lis tous les livres où s'inscrivent les stigmates de l'échec, où se déploie l'esthétique de la perte (...)."

01 juillet 2007

Benoît XVI enfin en phase avec Georges Brassens

Tempête dans un bénitier
Le souverain pontife avecque
Les évêques, les archevêques
Nous font un satané chantier

Ils ne savent pas ce qu'ils perdent
Tous ces fichus calotins
Sans le latin, sans le latin
La messe nous emmerde
A la fête liturgique
Plus de grand's pompes, soudain
Sans le latin, sans le latin
Plus de mystère magique
Le rite qui nous envoûte
S'avère alors anodin
Sans le latin, sans le latin
Et les fidèl's s'en foutent
O très Sainte Marie mèr' de
Dieu, dites à ces putains
De moines qu'ils nous emmerdent
Sans le latin

Je ne suis pas le seul, morbleu

Depuis que ces règles sévissent
A ne plus me rendre à l'office
Dominical que quand il pleut

Ils ne savent pas ce qu'ils perdent
Tous ces fichus calotins
Sans le latin, sans le latin
La messe nous emmerde
En renonçant à l'occulte
Faudra qu'ils fassent tintin
Sans le latin, sans le latin
Pour le denier du culte
A la saison printanière
Suisse, bedeau, sacristain
Sans le latin, sans le latin
F'ront l'églis' buissonnière
O très Sainte Marie mèr' de
Dieu, dites à ces putains
De moines qu'ils nous emmerdent
Sans le latin.

Ces oiseaux sont des enragés
Ces corbeaux qui scient, rognent, tranchent
La saine et bonne vieille branche
De la croix où ils sont perchés

Ils ne savent pas ce qu'ils perdent
Tous ces fichus calotins
Sans le latin, sans le latin
La messe nous emmerde
Le vin du sacré calice
Se change en eau de boudin
Sans le latin, sans le latin
Et ses vertus faiblissent
A Lourdes, Sète ou bien Parme
Comme à Quimper Corentin
Le presbytère sans le latin
A perdu de son charme
O très Sainte Marie mèr' de
Dieu, dites à ces putains
De moines qu'ils nous emmerdent
Sans le latin

30 juin 2007

Salope !

Pourquoi le paraphraser puisque c'est exprimé si clairement ? J'ai juste corrigé l'orthographe :)

"Serait-il désormais interdit de prononcer ce mot en privé ? Serait-il illégal de considérer que quelqu'un le mérite? Sera-t-il un jour nécessaire de dénoncer à la police toute personne qui l'aurait employé dans une conversation intime ? On pourrait le croire à entendre les réactions après les propos de M. Devedjian. Je ne le connais pas. Je ne connais pas non plus Madame Comparini. Je n'ai pas la moindre idée de la raison qui peut l'amener à penser cela d'elle. Mais c'est son droit de penser ce qu'il veut de qui il veut ; et il est honteux de laisser s'installer l'idée qu'il est licite de mettre sur la place publique toute conversation privée. Il serait honteux d'accepter que, désormais, nous vivions sous le règne de la transparence absolue. C'est la définition même du totalitarisme. Les hommes politiques l'ont sans doute un peu cherché, en mettant leur vie privée sur la place publique, mais il ne faut pas accepter la dictature de la transparence. Nos sociétés nous y conduisent déjà par les technologies. Il ne faudrait pas, en plus, qu'une morale naive nous y précipite."
Jacques Attali

22 juin 2007

Pays Perdu

Des difficiles relations de la littérature avec la réalité, une histoire édifiante, celle de Pierre Jourde et du village de Lussaud. La chroniqueur du Monde en parle sur son blog et elle renvoie elle-même à ses propres articles du journal. Je trouve ça passionnant, même si je dois avouer que j'ai eu du mail à terminer Pays Perdu, une merveille d'écriture qui montre que l'écriture n'est pas la finalité de l'écriture et que ce qui fait la littérature c'est le point de vue humain. On rêve d'un addenda à Littérature sans estomac. Peut-être Littérature sans coeur ?

11 juin 2007

Le boulevard du temps qui passe

Jean-Philippe s'exerce à l'art (délicat) du bloggueur. Voilà un boulevard qui n'est pas périphérique et mérite le détour.

09 juin 2007

Une bonne nouvelle

"Dans le monde parfait que beaucoup s'efforcent de construire les gens comme moi ne souffriront plus. On aura trouvé le moyen de les supprimer in utero. Je me demande tout de même jusqu'à quel point c'est rassurant."

Cioran, L'évangile du siècle à venir (inédit)

27 mai 2007

Souffrance en France


Avant-propos

L’idée s'est très largement répandue selon laquelle planerait sur notre pays une menace d'anéantissement économique. Jusques et y compris chez les scientifiques et les penseurs, on admet que la situation étant exceptionnellement grave il faut bien accepter d'employer les grands moyens, quitte à faire quelques victimes.

Nous serions donc aujourd'hui, si l'on en croit la rumeur, dans une conjoncture sociale et économique présentant de nombreux points communs avec une situation de guerre. A la différence près qu'il ne s'agit pas d'un conflit armé entre nations, mais d'une guerre « économique ». Comparable en gravité à celui de la guerre, son enjeu serait la survie de la nation et la sauvegarde de la liberté. Rien de moins !

C’est au nom de cette juste cause qu'on use, larga manu, dans le monde du travail, de méthodes cruelles contre nos concitoyens, pour exclure ceux qui ne sont pas aptes à combattre pour cette guerre (les vieux devenus trop lents, les jeunes insuffisamment formés, les hésitants.. ) : on les congédie de l'entreprise, cependant qu’on exige des autres, de ceux qui sont aptes au combat, des performances toujours supérieures en matière de productivité, de disponibilité, de discipline et de don de soi. Nous ne survivrons, nous dit-on, que si nous nous surpassons et si nous parvenons à être encore plus efficaces que nos concurrents. Cette guerre pratiquée sans recours aux armes (du moins en Europe) passe quand même par des sacrifices individuels consentis par les personnes et des sacrifices collectifs décidés en haut lieu, au nom de la raison économique.

« Le nerf de la guerre », ce n'est pas l'équipement militaire ou le maniement des armes, c'est le développement de la compétitivité.

Au nom de cette guerre - dont on ne dit pas qu’elle est sainte mais dont on chuchote parfois qu'elle est une « guerre saine » -, on admet de passer outre à certains principes. La fin justifierait les moyens.

La guerre saine, c'est d'abord une guerre pour la santé (des entreprises) : « dégraisser les effectifs », « enlever la mauvaise graisse» (Alain Juppé), « faire le ménage », « passer l’aspirateur », « décaper la crasse », « décalaminer », « détartrer », « lutter contre la sclérose ou l’ankylose », etc. : autant d'expressions saisies ici et là dans le langage ordinaire des dirigeants.

Les cures hygiéno-diététiques sont douloureuses, c’est admis, les traitements chirurgicaux aussi, et si l' on veut se débarrasser du pus, il faut bien inciser ou exciser l’abcès, n’est-ce pas ? Les métaphores médico-chirurgicales sont particulièrement prisées pour justifier les décisions de reclassement, déclassement, mise au placard, licenciement qui infligent aux personnes des souffrances, des déchirements et des crises, dont le psychopathologue et travailleur social sont les témoins obligés. « A la guerre comme à la guerre » ? « Il faut accepter les inconvénients qu’imposent les circonstances (voir résignation) », ou encore : « la guerre justifie les moyens », nous dit, à ce propos, le dictionnaire Robert. Au titre de cette guerre, pourtant, il n'y a pas que des victimes individuelles ou civiles. Faire la guerre n'a pas pour seuls objectifs de défendre sa sécurité et de survivre à la tourmente. La guerre consiste pour l'entrepreneur à fourbir les armes d’une compétitivité grâce à laquelle il pourra mettre à terre ses concurrents : les contraindre à battre en retraite ou les pousser à faire faillite.

Cette guerre économique détruit chaque semaine des entreprises supplémentaires. Les petites et moyennes entreprises, plus vulnérables que les grandes, sont particulièrement touchées, mais les géants qui profitent, longtemps parfois, de la disparition de leurs concurrents plus petits, ne sont pas à l'abri de la défaite. Et il arrive qu'à leur tour les très grandes entreprises soient condamnées à la capitulation sans conditions, quand leurs dirigeants ne choisissent pas de fuir in extremis (en emportant les meubles) ou de « passer à l'ennemi » (en trahissant leur entreprise et en livrant leur clientèle à la concurrence selon un procédé peu élégant mais fort répandu).

De fait, cette guerre économique occasionne des dégâts, y compris parmi ceux qui étaient les plus ardents partisans d’un libéralisme sans entrave. Dans cette guerre « saine » comme dans bien d'autres guerres passant pour malsaines, il y a du gâchis et des pertes absurdes, Les analystes qui se penchent sur cet emballement délétère, y compris dans la communauté scientifique, sont abasourdis par l' absurdité de certains de ces combats fratricides entre concurrents. Certains spécialistes lancent des signaux d'alarme. L'inefficacité de leurs appels les conduit à soupçonner certains acteurs du drame d'aveuglement dans leur façon de conduire les affaires. D'où ils déduisent que leur mission de chercheur consisterait avant tout à éclairer la lanterne des dirigeants d'entreprise et des dirigeants politiques, comme si une explication rationnelle devait bientôt les convaincre d'agir autrement.

Je ne partage pas cette opinion. Mon expérience auprès des dirigeants me suggère plutôt que ces derniers sont conscients des risques qu'ils encourent, mais que, dans leur majorité, ils ne veulent pas changer de cap. Pourquoi ? Parce qu'ils espèrent que, dans cette guerre, ce seront leurs adversaires qui s'essouffleront les premiers et qu'alors ils régneront dans la paix retrouvée. Et, de fait, c'est bien de cette félicité que jouissent d'ores et déjà certains vainqueurs. Cette guerre a des bénéficiaires, à n'en pas douter, qui profitent d'une prospérité et d’une richesse qu'on admire et qu'on leur envie. Nombreux sont les dirigeants d'entreprise et les leaders politiques qui réclament encore plus de libéralisme, parce qu'ils en escomptent des avantages dans la guerre économique contre leurs concurrents. Il est pourtant permis d'espérer que parmi eux certains ne resteront pas insensibles aux questions qui vont être soulevées dans cet ouvrage. Au-delà, on peut même supputer que certains d'entre eux sauront se servir d'une partie de l'argumentaire présenté pour mener le débat dans leur communauté d'appartenance.

Pourtant ce livre n'a pas l'ambition d'infléchir directement les décisions de la fraction dominante des dirigeants, dont les convictions néolibérales sont logiques et compréhensibles. Ces dernières sont, de plus, acceptées, sinon partagées par la majorité des citoyens en Europe. De ce fait, les positions et les décisions de nos dirigeants sont légales et peut-être légitimes. Ce qui n’empêche pas la dénonciation de ces choix et de ces décisions d’émerger ici et là, parfois même avec éloquence (Forrester, 1996). Mais la dénonciation n'est pas toujours d’une grande utilité, dans la mesure où, ne proposant pas d’alternative crédible, elle reste peu convaincante et peu mobilisatrice.

Ni résignation, ni dénonciation : l'analyse qui sera développée dans ce livre part d'un tout autre point de vue. Elle reconnaît avant toute chose que les partisans de la guerre saine l'ont emporté depuis une quinzaine, et que dans la bataille, il y a des vaincus, plus nombreux - nul ne le contestera - que les vainqueurs. Je propose donc de déplacer l'axe de l'investigation. S'il y a des vainqueurs, et si la guerre se poursuit, c'est parce que la machine de guerre mise en place fonctionne. Et elle fonctionne remarquablement bien, c'est difficilement réfutable. Mais pourquoi donc la machine de guerre fonctionne-t-elle si bien?

Deux réponses sont possibles, dont seule la première est prise en considération dans les analyses qui font autorité :
- la guerre aurait commencé et se prolongerait parce qu’elle serait inévitable. Elle s'auto-engendrerait et s' auto-reproduirait, en raison de la logique interne du système : entendons par système, le système économique mondial, le marché. Cette guerre serait en quelque sorte naturelle, c'est-à-dire qu'elle relèverait de lois incontournables, que la science économique élucide. Ces dernières auraient le statut de lois naturelles, c'est-à-dire inscrites dans l'ordre de l'univers, au-delà de la volonté des hommes et des femmes, ou encore de lois appartenant au « céleste » au sens aristotélicien du terme ;
- l'autre réponse, rarement formulée (Ladrière et Gruson, 1992), consiste à admettre l'existence de lois économiques, mais tient ces dernières pour des lois instituées, c'est-à-dire construites par les hommes ou encore des lois relevant du « sublunaire », au sens aristotélicien du terme encore. Sublunaire : le monde situé en dessous de la lune, c'est-à-dire le monde habité par les humains, où l'évolution des conjonctures est sensible aux décisions et aux actions humaines (à la différence du monde des astres et de la matière, régi par les lois éternelles de la physique et de la nature).

Dans cette perspective, la guerre saine ne trouverait pas son origine uniquement dans la nature du système économique, dans le marché ou dans la « mondialisation » mais dans les conduites humaines. Que la guerre économique soit souhaitée par certains dirigeants n'a rien d'énigmatique, et, comme je l'ai indiqué plus haut, je crois pas qu'elle soit le fait d'un aveuglement, mais plutôt d'un calcul et d'une stratégie. Que la machine .de guerre fonctionne, en revanche, suppose que tous les autres (ceux qui ne sont pas les « décideurs »), ou au moins la majorité d'entre eux, apportent leur concours à son fonctionnement, à son efficacité et à sa longévité, qu'en tout cas ils ne l'empêchent pas de poursuivre son déploiement.

La question, à partir de ce point de la discussion, n'est pas de chercher à comprendre la logique économique, mais de suspendre au contraire cette question, pour concentrer l’effort d’analyse sur les conduites humaines qui produisent cette machine de guerre et sur celles qui conduisent à consentir, voire à s’y soumettre.

La machinerie de la guerre économique n’est pourtant pas un deus ex machina. Elle fonctionne parce que, en masse, les hommes et les femmes consentent à y participer.

La question centrale de ce livre c’est, pour reprendre l’expression d’Alain Morice (1996), celle des « ressorts subjectifs de la domination » : pourquoi les uns consentent-ils à subir la souffrance, cependant que d’autres consentent à infliger cette souffrance aux premiers ? »

Ce livre est l’essai d’analyse de cette question embarrassante que je tiens pour une question cruciale. Elle est centrale pour la période actuelle, mais elle n’en est pas l’apanage. Elle se pose pour toutes les périodes du système économique libéral, passé, présent et à venir.

Cet essai a essentiellement une visée théorique. Même s’il est inspiré et argumenté par des recherches empiriques commencées depuis vingt-cinq ans, l’orientation de la réflexion est théorique, parce qu’il n’y a pas, me semble-t-il, de réponse politique à la notion de « guerre économique » sans apport conceptuel nouveau. Si un e crise politique et sociale devait se déclancher dans un avenir proche, elle risquerait de s’épuiser ou de favoriser une issue encore plus réactionnaire, faute de matériaux conceptuels susceptibles de nourrir la délibération et l’action en vue de maîtriser ou de subvertir la machinerie de guerre économique.

Si cette machinerie continue de déployer sa puissance, c’est parce que nous consentons à la faire fonctionner, même lorsque nous y répugnons. Même lorsque nous y répugnons ! Pourquoi ? Les ressorts subjectifs du consentement (c'est-à-dire relevant du sujet psychique) jouent ici un rôle que je crois décisif, sinon déterminant. C'est au moins ce que suggèrent les enquêtes sur la souffrance dans le travail dont il sera fait état plus loin. C'est par la médiation de la souffrance au travail que se forme le consentement à participer au système. Et lorsqu'il fonctionne, le système génère, en retour, une souffrance croissante parmi ceux qui travaillent. La souffrance s'accroît parce que ceux qui travaillent perdent progressivement l'espoir que la condition qui leur est faite aujourd'hui pourrait s'améliorer demain. Ceux qui travaillent font de plus en plus couramment l'expérience que leurs efforts, leur engagement, leur bonne volonté, leurs « sacrifices » pour l'entreprise n'aboutissent en fin de compte qu'à aggraver la situation. Plus ils donnent d'eux-mêmes, plus ils sont « performants », et plus ils font de mal à leurs voisins de travail, plus ils les menacent, du fait même de leurs efforts et de leurs succès. Ainsi le rapport au travail, chez les gens ordinaires, se dissocie-t-il progressivement de la promesse de bonheur et de sécurité partagés : pour soi-même d'abord, mais aussi pour ses collègues, pour ses amis et pour ses propres enfants.

Cette souffrance s'accroît avec l'absurdité d'un effort au travail qui ne donnera pas en retour de satisfaction vis-à-vis des attentes qu'on y place au plan matériel, affectif, social et politique. Les conséquences de cette souffrance sur le fonctionnement psychique et, au-delà, sur la santé sont inquiétantes, comme on le verra plus loin dans ce livre. Mais elle ne désamorce pas la machinerie de guerre économique. Au contraire, elle l'alimente, par un sinistre retournement qu'il faut élucider.

Contre la souffrance éprouvée dans le travail, en effet, hommes et femmes érigent des défenses. Les « stratégies » sont subtiles, bouleversantes même d'ingéniosité, de diversité et d'inventivité. Mais elles recèlent aussi, en elles, un piège qui peut se refermer sur ceux qui, grâce à elles, parviennent à endurer la souffrance sans ployer.

Pour comprendre comment nous en sommes rendus à tolérer et à produire le sort réservé aux chômeurs et aux pauvres dans une société qui pourtant ne cesse de s’enrichir, nous devrons d'abord prendre connaissance de la souffrance au travail. Nous aurons aussi à analyser certaines stratégies de défense particulièrement préoccupantes parce qu'elles nous aident à fermer les yeux sur ce dont, pourtant, nous avons l'intuition pénible. Mais ne nous y trompons pas. Dans la souffrance, comme dans les défenses et au-delà dans le consentement à subir ou à infliger la souffrance, il n'y a pas de mécanisme incoercible ou inexorable. Il n'y a pas, en matière de défense contre la souffrance, de lois naturelles, mais des règles de conduite construites par des hommes et par des femmes.

Faute des moyens conceptuels indispensables pour analyser souffrance et défense, nous dérivons, sans en la conscience ni la maîtrise, vers des conduites qui alimentent l'injustice et la font perdurer. Si en revanche nous étions capables de penser la souffrance et la peur, ainsi que leurs effets pervers, au lieu de les méconnaître, nous ne pourrions peut-être plus consentir-à-faire-le-mal-malgré-notre-répugnance-à-le-faire. Penser le rapport subjectif au travail permet de se déprendre de ce qui nous a insensiblement amenés à agir comme si nous faisions nôtre cette formule hautement suspecte : « A la guerre comme à la guerre ! »

Ce livre n'a pas pour objectif de dresser un bilan national de la condition faite aux travailleurs de notre pays. Il est certain que l'évolution des rapports de travail ne progresse pas partout à la même cadence et que, de ce fait, des disparités assez importantes sont observables sur le territoire. Mais les situations qui seront analysées dans ce livre sont attestées par des enquêtes faites sur le terrain. Nous ne savons pas si l'évolution que nous décrivons est destinée à gagner tout le pays. De nombreux spécialise le redoutent. Cette crainte, à elle seule, justifie en tout état de cause qu'on se mette sans plus tarder à l’étude.

15 mai 2007

Il est plus tard que tu ne penses

Objet : Problème informatique

Madame, Monsieur,
Il y a un mois, j'ai changé ma version "Chirac" 2.0 par la version Sarkozy 1.0" et j'ai noté que le programme a lancé une application inattendue appelée "maintenant_vous_allez_vraiment_en_chier" 1.0 qui a considérablement réduit les performances de mon processeur.
Dans la notice, cette application n'était pourtant pas mentionnée.
De plus, "Sarkozy 1.0" s'installe dans tous les autres programmes et se lance automatiquement lors du lancement de n'importe quelle application, parasitant l'execution de celles-ci.
Des applications telles que "liberté-d-expression" 8.9 ou "vivre-ensemble" 3.2 ne fonctionnent plus.
De plus, des programmes occultes (virus?) nommés "Folie Furieuse" 11.5, "démagogie" 7.0 et "Autoritarisme" 9.5 se lancent de temps en temps et soit plantent le système, soit font que "Sarkozy" 1.0 se comporte de façon totalement inattendue.
Je n'arrive pas à désinstaller ce programme ce qui est très embêtant, surtout quand j'essaye d'exécuter l'application "joie_de_vivre" 8.2. Par exemple, la commande : /service_public.exe ne fonctionne plus.
D'autres utilisateurs de Sarkozy 1.0 m'ont fait part de l'existence d'applications telles que t'as_tes_papiers 6.0 et allez_zou_charter_bamako version 3.4 liée à l'utilisation de Sarkozy 1.0 sur certains processeurs.
J'envisage de revenir à la version Chirac 2.0 que j'avais avant, mais cela a l'air très compliqué.
Que faire ?
Un utilisateur démoralisé.

Réponse:
Cher Monsieur,
Votre plainte est très fréquente chez les utilisateurs de Sarkozy 1.0, mais elle est due le plus souvent à une erreur de conception de base. Beaucoup d'utilisateurs passent de leur version Chirac 2.0 à Sarkozy1.0 en pensant que Sarkozy 1.0 n'est qu'un programme d'utilitaires et de divertissement.
Cependant, Sarkozy 1.0 est bien plus que cela, il s'agit d'un SYSTEME D'EXPLOITATION COMPLET conçu pour gérer TOUTES vos applications.
Il est entendu que le retour à Chirac 2.0 est impossible.
Deux options s'offrent à vous :
- Vous décidez de conserver Sarkozy 1.0, et vous attendez 5 ans normalement, avant de changer pour un système d'exploitation plus satisfaisant et performant.
Pour ce qui concerne les programmes Démagogie 7.0 ou Autoritarisme 9.5, ce sont des programmes d'ancienne génération utilisés sous NB ou Vichy.1940, qui aujourd'hui connaissent des problèmes de compatibilité. Des mises à jour de République_Française bientôt téléchargeables devraient permettre de résoudre le problème.
Evitez d'utiliser les touches Echap et Suppr trop souvent sous Sarkozy1.0, vous risquez de lancer des applications néfastes comme
C:/coup_de_matraque_dans_la_gueule.exe ou C:/prison_ferme.exe.
Il vous faudra de plus lancer manuellement la commande C:/allô-c-est-pour-dénoncer.exe ou manifestation_de_soutien-ump.exe pour rendre le système stable.
ATTENTION : Il va sans dire que les déceptions lors de l'utilisation de votre outil vont être nombreuses.
- L'autre solution est une restauration du système.
Il vous faudra assez simplement télécharger le patch Je_Vote_Royal 1.1 pour récupérer l'ensemble des fonctionnalités de votre ordinateur et en augmenter les performances.

Cordialement,
le SAV informatique.

04 mai 2007

Nous sommes coupables...

La réponse à Sarkozy de «repentis fatigués de la chienlit»
par Daniel COHN-BENDIT et Alain GEISMAR.

Nous sommes coupables...
(Piqué à Libération du 2 mai 2007. Dans le temps je disais Libé et je piquais chez Maspéro ou au Furet.)

Nous sommes coupables d'avoir fait souffler un vent de liberté et d'autonomie à la radio-télévision d'Etat d'alors ; ce que semble regretter Nicolas Sarkozy. Nous sommes coupables d'avoir rêvé d'autonomie et de démocratie dans les écoles, les universités et les usines. Coupables d'avoir désiré la justice et l'égalité au travail comme à la maison ; ce qui semble déranger Nicolas Sarkozy.
Nous sommes coupables d'avoir taillé une croupière à l'autoritarisme gaulliste, marxiste, communiste, syndical et patronal.
Nous sommes coupables de cette réalité d'aujourd'hui où les femmes et les hommes décident en toute liberté de leur corps, où les jeunes décident librement de leur contraception et où les femmes ont le droit de choisir de laisser naître un enfant ou pas. Visiblement, cela ne plaît pas non plus à Nicolas Sarkozy.
Nous sommes coupables d'un tas de conneries comme « CRS-SS ». Mais était-ce donc pire qu'un «Cohn-Bendit à Dachau !» entendu comme slogan à la grande manifestation gaulliste ? Nous sommes coupables du bêtisier révolutionnaire des « Vive Trotski ! », « Vive Che Guevara ! », « Vive Mao ! », autrement dit, des « Vive la révolution autoritaire ou totalitaire », « libertaire ou plébéienne ». Coupables, donc, d'avoir béatifié Marx ou Proudhon en ignorant Hannah Arendt et Albert Camus, mais aussi de n'avoir pas bien lu Jean-Paul Sartre.
Nous sommes génétiquement coupables d'un désir d'égalité, de solidarité et de liberté. Nous sommes génétiquement coupables de penser que le pouvoir n'est pas la propriété privée d'un homme ou d'une femme. Nous sommes génétiquement coupables de rêver d'une mondialisation écologiquement et socialement régulée. Nous sommes génétiquement coupables de croire que le kärcher ne résout rien et que la police ne peut pas tout.
C'est pour toutes ces raisons que nous décidons de créer un cercle des « enragés repentis fatigués de la chienlit » et que nous demandons à être rééduqués par le maître penseur de la révolution culturelle sarkozyste, André Glucksmann, en promettant de nous flageller publiquement et collectivement devant le siège de l'UMP. Et, puisque nous nous découvrons aujourd'hui responsables de la spéculation boursière et des parachutes dorés pour les grands patrons, nous convoquons, en vertu des droits à la propriété intellectuelle, une assemblée générale pour réclamer collectivement nos dividendes, qui financeront nos séances d'autocritique, de confession publique, de pénitence et d'humiliation. Nous voilà prêts à « passer aux aveux » au prochain congrès de l'UMP.
Nous savons que, libérés de notre culpabilité, nous pourrons nous épanouir à l'ombre du pouvoir de Nicolas Sarkozy. Ensemble, et sans tous ceux qui dérangent. Sous les pavés de notre honte, la plage...

27 avril 2007

Ne VOTE PAS SARKOZY, ou tu finiras comme eux.

Ceci n'est pas un spam
Si cette lettre t'arrive, ce n'est pas par hasard, rien n'est dû au hasard.

Marie P. a voté Sarkozy en 2002, deux jours plus tard sa maison a brûlé et tous ses enfants sont morts de combustion spontanée.
Pierre F. a voté Sarkozy lui aussi : il s'est noyé dans la mare aux canards de sa ferme, on n'a jamais retrouvé son corps.
Catherine K. a voté UMP aux dernières législatives : une semaine plus tard, elle a dû se faire poser un anus artificiel.
Joseph D. a pensé à voter Sarkozy. Depuis, il purge une peine à vie dans les prisons turques. Le pire, c'est qu'il avait pris un billet d'avion pour Namur, il a été victime d'une erreur à l'embarquement.
Denise V. a rêvé qu'elle votait Sarkozy. Dans la semaine suivante, elle est devenue Soeur Denise au couvent de la Visitation, alors qu'elle devait épouser T.B. un jeune homme très élégant et bien membré.

Ne VOTE PAS SARKOZY, ou tu finiras comme eux.

Transfère ce message à 10 personnes que tu aimes sinon tes dents de devant tomberont et celles de derrière pourriront.

Si tu ne votes pas Sarkozy, tout ira bien, tout le monde te trouvera sexuellement désirable, et tu gagneras plein d'argent.

Bien compris ?

16 avril 2007

La vie s'écoule, la vie s'enfuit

La vie s'écoule, la vie s'enfuit
Les jours défilent au pas de l'ennui
Parti des rouges, parti des gris
Nos révolutions sont trahies
Le travail tue, le travail paie
Le temps s'achète au supermarché
Le temps payé ne revient plus
La jeunesse meurt de temps perdu
Les yeux faits pour l'amour d'aimer
Sont le reflet d'un monde d'objets.
Sans rêve et sans réalité
Aux images nous sommes condamnés
Les fusillés, les affamés
Viennent vers nous du fond du passé
Rien n'a changé mais tout commence
Et va mûrir dans la violence
Brûlez, repaires de curés,
Nids de marchands, de policiers
Au vent qui sème la tempête
Se récoltent les jours de fête
Les fusils sur nous dirigés
Contre les chefs vont se retourner
Plus de dirigeants, plus d'État
Pour profiter de nos combats

Paroles de Raoul Vaneigem
Musique de Francis Lemonnier

29 mars 2007

Les Divas passagères


Chers amis d'ici et d'ailleurs,

C'est avec beaucoup de plaisir que nous vous invitons à venir découvrir notre récital à quatre voix (féminines), mûri pendant plus de deux ans, enfin prêt à être partagé...
De la chanson intimiste, française, anglaise ou italienne (avec une pointe d'occitan), du jazz, du classique, le tout a capella.
Nous chantons à Bruxelles (Le Cabaret aux Chansons) le samedi 28 avril et à Rongy (Brunehaut, à deux pas de Tournai) les vendredi 4 et samedi 5 mai. Ne tardez pas à réserver, le nombre de places est limité.
Il s'agit d'une formule "en appartement", donc, si le récital vous plaît, prévoyez vous aussi d'étonner vos amis, de fêter votre belle-maman, de surprendre vos maris.
Il suffit de nous ouvrir vos salons, greniers, granges ou garages, d'y placer quarante ou cinquante chaises, et nous débarquons avec nos chansons sur canapé, notre guéridon, une fricassée de champignons en hors d'oeuvre, sans tambour ni trompette. Quoique...

Merci de faire des vagues!...
les 28 avril à Bruxelles, 4 & 5 mai à Rongy, et bientôt chez vous.

pour les Divas Passagères,
Hélène Bargibant
112 rue de Tournai
7620 Brunehaut (B)
helene.bargibant@euphonynet.be

23 mars 2007

Lire

B., le 9 mai 1997

Chère D.,

Tout d’abord un grand merci pour ta lettre de la semaine dernière. Je suis heureux que tu aies apprécié ce formidable roman qu’est Cent ans de solitude. Je crois qu’en lisant ce livre tu as rencontré la littérature (...).

Quel est ce livre qu’on trouve dans une bibliothèque familiale, dans une librairie, chez une amie ? A-t-il quelque chose à nous dire ? Peut-être… On le prend en main, on regarde comment il est fabriqué, c’est un petit livre de poche sans grande valeur marchande ou un beau livre relié. Il y a souvent une illustration en couverture, qui retient l’œil un instant. On le retourne. La quatrième de couverture donne probablement (sauf, bien sûr, dans le cas d’un beau livre relié) des indications sur le contenu, sur l’auteur. On regarde encore ce livre avec circonspection, il faut en examiner tellement pour faire une rencontre d’importance ! Celui-là est -il un futur compagnon fidèle ou risque-t-on la déception ?

On se souvient des vrais bonheurs que la littérature nous a apportés, ces journées et ces nuits passées avec un livre qui devenait aussi présent que les êtres qui nous entourent, et même, avouons-le, parfois plus. Ah ! Rentrer à la maison, le soir, en sachant qu’en un livre fidèle un autre monde nous attend, s’installer confortablement, mettre dans le lecteur de CD une musique qui corresponde à ce qu’on va lire, prendre le livre connu, l’ouvrir où se trouve le signet… et passer dans une autre dimension du temps et de l’espace. Pas besoin d’un vaisseau capable d’atteindre la vitesse lumière ! Voilà que nous voyageons en Amérique du Sud dans un pays improbable qui ressemble à la Colombie… Que nous participons avec Fabrice del Dongo, sans la comprendre vraiment, à une campagne napoléonienne de la fin du XVIIIe siècle et que nous rencontrons la belle Clélia … Que nous vivons avec Guillaume de Baskerville une enquête incroyable dans un monastère bénédictin du XIIe siècle, pleine de rebondissements et d’humour … Que nous partageons en Allemagne, lors de la montée du nazisme, l’amitié de deux garçons que l’histoire sépare et dont la fidélité sera plus forte que la mort …

Alors, ce livre-ci, celui qu’on a en main sans le connaître encore, où veut-il nous emporter et a-t-on envie d’y aller ? Sommes-nous prêts à ce voyage-là ? Ce voyage est-il de qualité ? On ouvre les premières pages, on les feuillette d’un doigt encore peu convaincu. Et parfois le miracle s’accomplit. Derrière cette couverture banale, semblable à tant d’autres, il y a un bloc d’humanité, une histoire qui nous touche au plus profond, une puissance qui nous change et nous rend meilleurs. Nous sommes possédés par une écriture, la beauté des phrases, leur musique, par une histoire. Cette histoire nous concerne même si elle met en scène des tibétains et des chinois du début du XXe siècle , des grecs, des égyptiens et des ossètes de l’antiquité ou des américains contemporains, quand ce ne sont pas des hommes des époques futures, dans des contrées pour le moins lointaines. Parce que l’humanité est une à travers l’espace et le temps.

Une bibliothèque nous offre la possibilité de rencontrer des gens qu’on ne rencontrerait pas dans la vie, parce qu’ils sont loin de nous dans l’espace ou le temps, peut-être même sont-ils morts depuis longtemps. On peut avoir en main, pour quelques francs, le meilleur de l’humanité, le concentré de son génie, sous la forme de romans, de biographies, de récits historiques, de récits de voyage , etc. La bibliothèque nous offre la possibilité de nous libérer de l’ici et du maintenant, pour y revenir ensuite plus libre et plus vivant. Ce mouvement, c’est ce que j’appelle culture.

Mais il faut, pour aller plus loin, apprendre à s’ouvrir à de nouvelles formes littéraires. En effet, les premiers livres que nous lisons lorsque nous sommes enfants sont souvent basés sur la répétition de schémas et sur la création et la re-création permanente de mondes où le lecteur trouve des repères faciles. Toute une littérature adulte fonctionne ensuite selon les même principes et elle est bien agréable à lire, elle nous renvoie sans cesse à des structures connues et rassurantes — même lorsque c’est pour nous faire peur ! La difficulté du lecteur intrépide qui cherche à s’affranchir de ces formes finalement assez faciles est qu’il va se trouver souvent en terrain inconnu et qu’il va devoir accepter d’être parfois bousculé et dérouté par des formes d’écriture inusitées. C’est encore affaire de culture, la culture est la boussole qui permet de s’orienter. Et ta boussole, tu devras la construire toi-même, livre après livre, en confrontant tes découvertes avec celles de tes guides et amis.

Je m’aperçois que je t’ai écrit un vraie dissertation sur la lecture ! C’est que je crois que les êtres humains ne sont pas pleinement humains dès leur naissance : il suffit de les observer, ils sont visiblement loin d’être achevés physiquement, intellectuellement et spirituellement . Sa propre humanité est quelque chose que chacun doit construire tout au long de sa vie et la lecture est sans doute l’un des meilleurs moyens de le faire, puisqu’elle est le moyen de sortir de soi-même et de rencontrer des géants de la pensée et de l’art. Le secret est de ne pas oublier qu’après être sorti de soi-même il convient d’y revenir et de faire de ses trouvailles des occasions de partage, d’échange, de communication, de contact, de relation… avec autrui et surtout pas de repli sur soi.

Ma chère D., en ce qui concerne le partage des découvertes littéraires, tu peux compter sur moi pour t’indiquer ce que j’ai trouvé et ce que je trouverai. J’espère que tu en feras de même avec moi et avec d’autres. La plupart des livres évoqués dans cette lettre sont disponibles à B. ou à P., tu en as d’ailleurs déjà lu certains.

Je suis heureux de te voir grandir et j’attends avec impatience nos prochaines conversations, qu’elles soient de vive voix ou épistolaires. (...)

N’oublie jamais que la connaissance sans l’amour n’est rien !

(...)

04 mars 2007

Conférence de Luc FERRY

Les Peurs
Alors que nous recherchons la « vie bonne », la sérénité, nos vies sont coincées par des peurs :
• Sociales (violence symbolique)
• Phobies (quand l’angoisse est là, on est coincé, fermé)
• Peur de la mort.
Philo/sophia : recherche de la sérénité.
D’ailleurs, la troisième peur, celle de la mort, c’est plutôt la peur de la mort de nos proches qui nous effraie, plus que la nôtre. « Nevermore » : la mort est l’expérience de l’irréversible, de la finitude.
Salut : étymologiquement, « se sauver ». Comme les grandes religions, les philosophies sont des doctrines du salut. La différence, c’est que les philosophes grecs disent qu’on peut se sauver par soi-même et par la raison et les grandes religions, disent : pas par soi, par un Autre, et par la foi.
Les grandes philosophies sont des doctrines du salut sans dieu.

Les peurs prolifèrent dans les sociétés occidentales, peur de tout. Chaque année, une nouvelle peur s’ajoute aux autres. Nous avons peur des vaches folles, des poulets, de la couche d’ozone, du réchauffement climatique… (liste immense). Ce qui est nouveau, c’est que la peur n’est plus considérée comme une passion à surmonter, mais comme une passion positive, qui ouvre à la sagesse et au principe de précaution. Avant, on disait : « Un grand garçon, ça n’a pas peur. » On disait que la peur était une passion honteuse, négative, pas virile. Sous l’influence des mouvements écologiques et pacifistes, la peur s’est déculpabilisée. C’est comme si l’inquiétude était devenue le premier pas avant la réflexion. C’est une grande différence d’avec l’Europe des Lumières.

D’où ça vient, et comment en sortir ? Les mots clé sont « déconstruction » et « mondialisation ».
Déconstruction : le XXe à été le siècle de la déconstruction sur le plan culturel : la tonalité en musique, la figuration en peinture, les lois du roman classique… Ebranlé l’essentiel des valeurs religieuses, morales et politiques. Et si on croit encore à des valeurs, c’est avec une foi vacillante qui n’a rien à voir avec la foi ancienne.
Le XXe siècle, c’est aussi le siècle des avant-gardes. Comme dit Nietzsche, on a philosophé au marteau. Toutes les valeurs transcendantes auxquelles l’homme a cru pendant 20 siècles ont vacillé, et moi, dit Nietzsche, je vais les achever.
Critique du nihilisme. Attention, Nietzsche entend par « nihilisme » le contraire de ce que nous entendons généralement. Habituellement on confond nihilisme et no future. Pour Nietzsche, le nihilisme est au contraire bourré d’idoles, des valeurs transcendantes, de droits de l’homme, d’idéal, de catholicisme, etc. La conviction de Nietzsche est que les petits humains ont inventé ces idéaux supérieurs pour déclarer que l’idéal est supérieur au réel. Le Ciel est supérieur à la terre, l’au-delà à l’ici-bas. Les socialistes, les libéraux reproduisent cette hiérarchie qui est en fait la négation du réel. D’où la définition nietzschéenne du nihilisme.
Pour Nietzsche, le vrai sage est celui qui regrette un peu moins, qui espère un peu moins et qui vit le présent un peu plus.
Le passé nous tire en arrière (nostalgie, passions tristes). Si on quitte le passé pour aller vers l’avenir en espérant que changer de femme, ou de voiture, ou de MP3 va nous sauver, on s’illusionne. Passer d’une Peugeot à une Mercedes, ça peut être amusant quelques heures, pas plus.

Amor fati : amour de ce qui est. Etre « sage », c’est aimer ce qui est là.
C’est se débarrasser des idoles, des idéaux.
A force d’attendre de vivre, on finit par oublier de vivre (Sénèque).
Pourtant, seul le présent existe.

La déconstruction a préparé la mondialisation libérale.
Tous les grands déconstructeurs étaient plutôt du côté de la vie de bohème. Ils n’étaient pas des bourges. Ils étaient dans les marges, du côté de la gauche d’avant-garde.
Or ils ont préparé le terrain de la mondialisation libérale, qui exige que tout devienne marchandise, qui exige l’aplatissement de toutes les valeurs.
Une source est dans le discours scientifique, ce qu’il propose vaut pour tous. Le discours scientifique est le premier discours à vocation mondiale.
Quand il apparait, le discours scientifique est lié à des valeurs. Cf. les Lumières. Dominer le monde intellectuellement et pratiquement mais pour émanciper l’homme et rendre les hu-mains plus heureux. Emanciper les humains de la tyrannie de la nature. « Grâce aux scien-ces, nous pourrons prévoir et prévenir les catastrophes comme le raz de marée de Lis-bonne. » La science n’est pas une fin en soi. Elle n’est pas son propre but.
Or maintenant la science est intégrée dans une structure de compétition mondiale de tous contre tous. Nous sommes dans une logique de benchmarking permanente (se comparer tout le temps). C’est un effet terrifiant : le progrès change de sens. Au XVIIIe on imagine qu’on va progresser vers le bonheur des hommes. Maintenant on sait que si on ne progresse pas, on meurt. On est dans une logique économique et sociale darwinienne. Le progrès ac-célère tous les jours. Mais on n’est plus certain que ce soit un progrès. On avance comme un gyroscope qui tombe s’il arrête de tourner mais on ne sait plus où on va.

La mondialisation a quatre conséquences.
1- Peur liée à la perte du sens de l’histoire.
2- Plus personne ne contrôle le processus historique. Fin de la promesse démocratique. Cf. les métaphores qui fusent à propos des OGM : celle de l’apprenti sorcier, celle de Frankenstein, qui sont des mythes de la dépossession. La créature échappe et menace de noyer la terre. C’est la trahison de l’idéal démocratique. Nous avons à faire à des processus anonymes et aveugles : il n’y a pas de gros salauds. C’est « un process sans sujet ». (Althusser) Comment reprendre la main ? Le problème de fond, c’est que les politiques n’ont pas assez de pouvoir, pas le contraire.
3- Hyperconsommation. Nous consommons de tout, école, religion, politique. Nous sommes consommateurs tous azimuts. Rien n’échappe à la sphère de la consommation.
4- Contradictions culturelles de l’homme de droite. Tout fout le camp et décline. Le « type » (wébérien) d’homme de droite est dans une contradiction majeure : d’un côté il déplore de déclin (Nicolas Baveresse) et c’est son monde qui fait ça. Un drogué augmente et rapproche les prises : c’est la définition du client de supermarché. Un hypermarché vu d’il y a cent ans, c’est un attentat à la valeur, au bon goût, à l’utilité. 68 déconstruit les valeurs pour que nous devenions tous des conso-zappeurs. Pour-quoi les gens comme Lagardère, comme Pinault achètent-ils de l’art contemporain ? Parce qu’ils sont fascinés par la déconstruction. Ils partagent les « valeurs » des artistes contemporains.

Comment on en sort ?
Est-ce que quelque chose résiste à la libéralisation du monde ?
OUI. Le monde n’est pas totalement transformé en marchandise. Ce qui résiste, c’est la vie privée.
En réalité, ce que nous avons vécu, c’est le passage des valeurs dans la sphère privée. C’est là maintenant qu’est le sacré.
En effet, pourquoi risque-t-on sa vie ? Jusqu’à il y a peu, pour Dieu, la Patrie, la Révolution.
De 1945 à aujourd’hui, la droite est patriotique, la gauche révolutionnaire : deux positions sacrificielles. Pendant ce temps, on ne s’intéresse pas à la vie privée, à l’individu. Côté progressiste, il est même question de briser la famille, elle est une idée de droite.

Or, Dieu est maintenant incarné dans l’humanité elle-même. On ne risquerait notre vie que pour d’autres personnes, nos proches, les enfants.
On est passé des transcendances verticales, les grands systèmes sacrificiels, à des transcendances horizontales. La famille moderne est fondée sur le mariage d’amour (le divorce aussi, d’ailleurs). La famille d’antan (ancien régime) était décomposée, recomposée, mono-parentale, plus que maintenant, à cause de la mortalité. Finalement, maintenant c’est paradoxalement plus stable et il y a un vrai souci des enfants.
Rappelons la pratique du charivari : l’intimité n’existait pas. Les maisons n’avaient pas de portes ni de couloirs.
Or, voici le mariage d’amour. Grâce au capitalisme (salariat), les individus quittent les communautés villageoises qui les contrôlaient, notamment les femmes. L’autonomie financière conduit à l’autonomie affective qui conduit au mariage choisi (on parle de « se marier » au lieu d’ « être marié-e ») qui conduit à l’investissement des enfants.
La famille moderne est la matrice des solidarités, des associations. Il y a renversement des rapports entre sphère privée et transcendances verticales.

Nous sommes face à deux France qui s’éloignent l’une de l’autre. Il y a deux peurs symétriques : une France qui a peur de la mondialisation, des délocalisations, etc. C’est la France des « petits ». 7 millions de personnes vivent avec moins de 800 € / mois. Il y a une autre France, sarkosyste, tétanisée à l’idée qu’on risque de ne pas d’adapter à la mondialisation et se transformer en une deuxième Argentine.

L’individu moderne est dans une situation angoissante. Nous aimons plus que jamais, nous sommes dans un monde psy, dans une logique d’affectivité croissante. Et on est privé des filets de sécurité de la religion. Même ceux qui sont croyants le sont moins qu’avant. Aimer plus, c’est affronter un risque plus grand.

A partir des questions du public

Précision : la famille n’est pas la seule solidarité. Elle est la matrice de toutes les autres. C’est à partir d’elle que se développe la compassion.

Ecologie : il y en a deux, une humaniste pour laquelle le problème c’est de ne pas laisser un monde inhabitable à nos enfants. Et une intégriste pour laquelle l’amour de la nature nie l’homme. Celle-là était dans les lois nazis de 1935, elle est réactionnaire, prône le retour en arrière.

« Si Dieu avait voulu que nous soyons heureux, il ne nous aurait donné ni la liberté, ni l’intelligence. » Kant

La déconstruction nous a libéré des transcendances sacrificielles. C’est positif. Le processus d’égalisation au niveau mondial, ça va être une bonne chose pour ceux qui partent d’en des-sous de la moyenne. On doit espérer que le monde sera plus égalitaire et que ça va bien se passer. Mais ça ne va pas se passer très bien…

La peur sociale : il n’y a rien qui ne nous enferme plus que le regard social. Voir les cyniques grecs. Tout le travail de la philosophie, c’est de convertir les humains à un regard autre.

Les grandes philosophies sont comme de magnifiques châteaux à visiter. Il y a différentes philosophies parce qu’il y a différentes peurs et surtout différentes stratégies, différents dis-positifs, pour en sortir.

L’origine de l’ « horizontalisation » de la transcendances est mystérieuse et peut le rester. Il y a un paradoxe : la transcendance (sortir de soi) dans l’immanence (au cœur de soi). Il est inutile d’entrer dans un système d’explication fondamentaliste. Tout ne s’explique pas. Il n’y a pas de cause à chercher. Garder le mystère ? De toutes façons, on n’y comprend rien, à cette existence humaine.

« Merci de nous avoir permis, à nous qui sommes de grands dupes, d’être un peu moins dans l’errance. » Jean-Louis Losey

Notes prises lors d'une conférence à l'IRTS du Nord-Pas-de-Calais, le 15 février 2007, plubliées sans avis du conférencier.