Préface
In girum imus nocte et consumimur igni
L’année 199., il m’est arrivé de louer, avec O., ma compagne d'alors, une petite maison rurale, dans un coin reculé du Périgord, non loin de la petite ville médiévale de B. Le bâtiment était un peu isolé, je suis trop attaché à la ville et à son énergie pour goûter cette sensation de complète solitude, au bord d’une vaste forêt qui, croit savoir O., fut habitée pendant des millénaires, jusqu’à il y a moins de 150 ans. Il faudrait aimer l’oisiveté, au moins la lecture, même le tricot, pour survivre là, au bout du chemin bordé de pommiers, quand les seuls loisirs consistent à préparer le bois pour le feu ou à marcher, les jours secs, sur des sentiers anciens. O. aime cette vie un peu vide, elle se repose, dit-elle, du stress de sa vie professionnelle - et je soupçonne qu’elle aime m’avoir à côté d’elle, inactif et disponible, comme une sorte d’animal de compagnie, comme le mâle domestiqué que j’ai accepté de devenir. Comme sa beauté toujours me coupe le souffle, qu’elle se densifie encore à la lumière du feu de bois, quand la lumière des flammes danse sur son corps souple, je laisse couler les journées pour des nuits qui sont plus joyeuses qu’elles.
Dans ce temps de vacuité, glissant comme un fluide un peu collant, il m’est arrivé de vaquer à travers la maison vide, dans le plus grand désœuvrement, cherchant de quoi tromper mon ennui. C’est ainsi que j’ai trouvé, là où il avait sans doute glissé par accident, derrière un meuble, un cahier de quelques dizaines de feuillets sous une couverture de papier fort, soigneusement cousu à l’orientale. Cela se présentait comme un journal, cheminant de date en date, au long d’une sorte de conversion. L'homme qui avait écrit cela était aussi un animal domestiqué, mais aux prises avec ses démons intérieurs, et qui ne se satisfaisait pas de grand chose. Si je qualifie ce texte de recherche alchimique sur le feu intérieur, sur la nature de l’érotisme, de quête spirituelle, il va perdre des lecteurs. Alors disons simplement qu’il y est question d’amour. Pour ma part, il m’a touché, l’ennui dans lequel je baignais n’y est peut-être pas étranger, ni la proximité masculine avec son auteur.
J’aurais pu rechercher, parmi les anciens locataires de la maison, l’homme qui a écrit ce journal-confession mais je ne l’ai pas fait. J’ai préféré interpréter le soin apporté à la reliure comme un souhait d’être publié : c’est le texte lui-même qui fait connaître sa volonté propre et recherche son destin. Aussi je vous le livre tel que je l’ai trouvé, à cela près que j’ai retiré avec soin tout indice qui permettrait de remonter aux protagonistes.
Une dernière chose : le texte ne comportait pas d’autre titre que Journal 19.-20. J’ai pris la liberté de l’appeler Le Buveur de thé, parce que, si « le tch’an contient le bouddhisme et le tao, le zen contient le tch’an et la Voie du thé contient le zen », notre diariste semble aimer l’idée selon laquelle le thé contient sa vie entière, la résume et la transcende.
Didier Vandemelk
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire