25 décembre 2006

Un homme pourchassant les sataniques saccage le musée Boulgakov à Moscou

AFP 25.12.06 | 17h43

Le musée Mikhaïl Boulgakov, écrivain russe et auteur de "Le Maître et Marguerite", roman-culte pour plusieurs générations de Russes mais "maudit" par l'Eglise orthodoxe russe, a été saccagé et la moitié de ses objets détériorés, a déclaré lundi à l'AFP une responsable du musée.

Un certain Alexandre Morozov, opposant farouche à l'oeuvre de Boulgakov qu'il dénonce comme "satanique", "s'est enfermé jeudi dans nos locaux pour exiger l'expulsion du musée de l'immeuble", a indiqué à l'AFP Svetlana Kostina, vice-directrice de l'établissement.

L'homme "a jeté par la fenêtre de nombreux objets, dont des illustrations précieuses des oeuvres de Boulgakov signées par de grands artistes russes, sans oublier quelques ordinateurs", selon la responsable.

Alexandre Morozov proteste depuis des années contre l'installation du musée Boulgakov au rez-de-chaussée de l'immeuble, qui donne sur le parc de l'étang du Patriarche où habitait le célèbre écrivain et où il avait situé l'action de "Le Maître et Marguerite".

Habitant le même immeuble, Morozov avait notamment organisé en 2004 une manifestation de protestations de riverains visant à interdire la construction d'un monument en l'honneur de Boulgakov.

Le projet de monument avait été finalement retiré par la mairie.

L'Eglise orthodoxe russe a toujours qualifié "Le Maître et Marguerite" de "cinquième Evangile, celui de Satan".

La capitale russe ne compte finalement aucun monument célébrant la mémoire de Boulgakov, un écrivain culte né à Kiev en 1891 et mort à Moscou en 1940 après avoir écrit en vain à Staline pour avoir l'autorisation d'émigrer.

Le Maître et Marguerite, son grand roman fantastique mêlant inspiration biblique, forces du mal et satire de la vie soviétique de l'époque, a dû attendre le dégel khrouchtchévien pour être publié en 1966.

13 décembre 2006

Les Eglises romanes


Je les trouve parfois au cœur d’un petit village, ou bien isolées sur un promontoire, ou encore au creux d'entre deux collines, au détour de quelque route de campagne.

Selon le moment de la journée, la lumière se porte sur le chevet, puis sur la façade sud, enfin sur le porche. Je peux les considérer comme des boussoles qui m'indiqueraient l'est, et je suis orienté, ou comme des cadrans solaires et les jeux de lumière sur leurs pierres chaudes me disent où en est le cycle circadien. Attentif à l'endroit où le soleil se lève ou se couche, je pourrais aussi connaître précisément à quel point de l'année nous sommes.

Les églises romanes m'orientent dans le temps et dans l'espace. Elles me proposent aussi un orient spirituel.

Lorsque je pénètre par le porche, plongé dans la pénombre, j'aperçois la lumière de l'est. Le matin, le chemin qui s'ouvre devant moi — la nef — m'attire et la vitalité de la lumière me transmet l'énergie de l'heure du bélier ou du taureau. Après la nuit tout redevient possible, la jeunesse, le printemps, la renaissance, la rédemption, le pardon. Heure de l'Agnus Dei et de l'espérance concrétisée. Plus tard, dans la journée je dois laisser mes yeux s'accoutumer à la lumière qui entre par de rares ouvertures. La lumière du lion me parvient sans m'éblouir et sa puissance ne m'accable pas. Les heures de la journée et de la vie se déroulent, de la matinée à la fin de l'après-midi, de l'adolescence à la maturité, des gémeaux à la vierge. Le soir, le soleil se tient dans mon dos. Peut-être un oculus lui permet-il d'atteindre le chœur. Avec les heures de la balance, la paix descend sur terre mais bientôt l'angoisse et le doute du scorpion et de la nuit m'atteindront. Alors je quitterai le monde visible pour celui de la nuit : seul l'amour permettra l'éprouvante traversée du sagittaire aux poissons en passant par la solitude inhumaine du capricorne.

Du porche — je ne suis pas encore entré — je peux déjà éprouver le cycle des heures et de la journée, celui des saisons et de l'année. Le soleil vient, passe et repart. En son absence, l'espérance le remplace. L'été succède à l'hiver.

En avançant de quelques pas je quitte l'expérience du cycle pour entrer dans la linéarité, dans l'histoire. La nef m'invite à évoluer, à progresser en moi-même comme au long d'elle-même. Progrès du chrétien qui avance dans la connaissance en changeant de statut à chaque étape : catéchumène au porche, il est baptisé à l'entrée de la nef. Il appartient au vaisseau de l'église des hommes. Il avance parmi les piliers, arbres stylisés d'une nature humanisée, jusqu'au chœur, réservé aux clercs. Plus loin encore vers l'est, vers Jérusalem, face à la grandeur du Christ, le célébrant est tourné vers la Révélation. Il est l'éclaireur. Histoire invariante de la progression humaine, de l'appel de la vie. Je vois dans ce mouvement processionnel le paradigme qui se décline en progrès, dépassement, voyage, pèlerinage vers un autre soi-même transfiguré, d'une essence plus pure. Voyage initiatique, quête du sens, plongée au cœur de soi-même et retour dans un monde plus lumineux d'un être toujours plus vivant.

J'arrive au croisement de l'axe ouest-est de la nef avec le transept sud-nord. Le cimetière est dehors, à ma gauche. La porte des morts permet d'y accéder directement pendant la liturgie. La vie charnelle croise la vie spirituelle. Les corps passent du sud au nord, de la lumière à la nuit, de la droite à la gauche, de la vie à la mort. Le monde des hommes est ainsi signifié : l'axe de la vie et l'axe de la mort se recoupent. Cette croix humaine est bien un instrument de torture.

Je me tiens maintenant debout au point central du carré que constitue la croisée du transept. Sous mes pieds, le monde froid, humide et inhospitalier de la crypte représente ce qui est aussi à ma gauche : la mort, le monde souterrain scorpionnesque, diabolique, effrayant. Là on conservait les reliques saintes. On ensevelissait ceux qui étaient l’élite de la société : seigneurs féodaux, dignitaires religieux. Peut-être n'y a-t-il pas de crypte et sont-ils immédiatement sous mes pieds.

Debout au centre de la croix humaine, au-dessus de la crypte et de ses serpents, si je me redresse, j'élève le regard le long des arbres de pierres qui m'entourent, en haut des troncs, là où apparaissent quelques feuilles stylisées, je rencontre un autre monde, celui du cercle et de l'infini. Une coupole est érigée au-dessus du carré sur lequel je me tiens. La performance architecturale qui « rachète » le carré pour aboutir au cercle réalise la quadrature du cercle : elle montre l'absence de dichotomie entre le corps et l'esprit, le sensible et le spirituel. Les trois mondes verticaux forment le continuum de l'élévation : de la décomposition à la vie sensible, puis spirituelle. Debout sur le niveau intermédiaire, je suis confronté à un choix. La pesanteur me colle au sol et m'entraînerait vers les abîmes. Je veux résister à ces lois naturelles pour accéder au monde de l'air et de la liberté. En tendant le bras je n'y toucherai pas. La partie de moi capable de se hausser vers l'infini de la coupole s'appelle âme - ou esprit.

Je choisis de sortir de l'église par la porte sud. Peut-être suis-je terrassé et ébloui par la puissance de la lumière sur les pierres blanches et peut-être non. Je retrouve la nature, cours et étendues d'eau, plaines cultivées et anthropomorphisées, arbres dressant la tête jusqu'au ciel infini, espace vertical réglé par les mouvements du soleil inscrivant sur notre espace horizontal les ombres mouvantes du temps.

Là, je retrouve le modèle absolu de ce temple que je quitte à l'instant.

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.

Hêtres

Maurice Denis


Ce que je sais des sciences divines et des Saintes Ecritures, je l'ai trouvé dans les bois et les champs. Je n'ai pas d'autre maître que les hêtres et les chênes.
Bernard de Clairvaux