17 mai 2006

Triste anniversaire

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Reportage
Les jeunes Chinois sont maintenus dans l'ignorance de la "révolution culturelle"
LE MONDE | 17.05.06 | 14h26

La "révolution culturelle" ? Mais les étudiants et la jeune génération n'en savent rien !", prévient Lou Ge, en poursuivant sa promenade dans les charmants jardins de Beida, la grande université pékinoise qui fut le berceau - avec d'autres établissements - de la "révolution culturelle" déclenchée, il y a quarante ans, par Mao Zedong. Agé de 80 ans, ce professeur de physique à la retraite, lui-même brutalisé et humilié, à l'époque, par ses propres étudiants, explique : "Le Parti communiste ne veut pas que les jeunes sachent vraiment ce qui s'est passé. C'est grave : beaucoup d'anciens gardes rouges détiennent des postes de responsabilité ; certains d'entre eux sont ici professeurs..."

Le 40e anniversaire de la "révolution culturelle", lancée le 16 mai 1966, lorsque le comité central appela à l'"élimination" des "éléments de la bourgeoisie" qui s'étaient "infiltrés" à tous les niveaux du parti, vient d'être salué en Chine par un assourdissant silence de l'ensemble des médias. Le constant refus des autorités de se livrer à un travail de mémoire sur ce tragique épisode, qui fit des centaines de milliers de morts (voire plusieurs millions) s'explique, selon les critiques du Parti communiste chinois (PCC), par une raison simple : revenir sur cette période risquerait de saper la légitimité même du Parti et du régime. "Mao, c'est 70 % de bon et 30 % de mauvais", ont tranché ses successeurs, au début des années 1980.

Les choses en sont restées là. En début de semaine, un porte-parole du ministère des affaires étrangères a réitéré la ligne officielle : "Ce furent dix années (1966-1976) de catastrophe". Mais cette réponse somme toute banale à une question de journaliste étranger n'a pas été rapportée par la presse chinoise et "caviardée" dans le site en ligne du même ministère. La censure est allée jusqu'à bloquer l'expression "révolution culturelle" sur Internet.

"Je suis un peu trop jeune pour en savoir beaucoup sur le sujet, dit un étudiant en histoire, avant d'ajouter : mais le désastre a été suivi par une réflexion qui a permis aux Chinois d'éviter que cette histoire ne se répète et à la Chine de se développer économiquement." Sait-il que, sous prétexte de nettoyer le Parti de ses dérives "bourgeoises", Mao n'avait pour but que d'éliminer ses adversaires après avoir perdu le pouvoir au lendemain d'une autre catastrophe, celle du "Grand bond en avant" et ses 30 millions de morts de faim ? "C'est une façon de voir les choses, répond-il prudemment : la "révolution culturelle" doit être analysée dialectiquement : elle a eu également des côtés positifs..."

Plus loin, une jeune fille s'avance sous le soleil en se protégeant sous une ombrelle vert pomme : "Non, je ne peux pas vous dire grand-chose sur cette question, s'excuse-t-elle avec un sourire timide ; j'étudie les lettres classiques." Derrière elle, une autre étudiante se promène, les écouteurs de son i-pod dans les oreilles. Ses 20 ans à peine sonnés ne l'empêchent pas d'être avertie : "Seuls quelques intellectuels sont parvenus à garder la tête froide. Mais ils n'avaient aucun pouvoir et ce sont les gens du pouvoir qui ont lancé cette "révolution" !" Elle n'ose toutefois pas dire son nom : "On pourrait me repérer."

Les premiers échos de cette "révolution culturelle", lancée tout d'abord dans ces milieux étudiants qui allaient constituer le terreau des "gardes rouges", sont apparus non loin de cette pelouse. Dans un bâtiment devenu aujourd'hui un auditorium, fut apposé le 25 mai 1966 un "dazibao" (affiche à grands caractères) dénonçant certains professeurs et cadres d'un Parti qu'il fallait "purger". Derrière le mouvement qui s'amorçait, Mao n'avait en fait qu'un souhait : se débarrasser de ses rivaux du Parti, au premier rang desquels le président de la République, Liu Shaoqi, mort le 12 novembre 1969 dans une prison isolée du centre de la Chine.

Bruno Philip
Article paru dans l'édition du 18.05.06

1 commentaire:

Lucien Suel a dit…

Simon Leys disait la vérité, Victor Kravchenko aussi.