25 décembre 2004

La scène primordiale



C'est la scène primordiale : tout commence quand une feuille tombe dans un bol d'eau chaude. Un petit voyage pour la feuille, un grand pas pour l'humanité.

21 septembre 2004

« Gyô » s'oppose à « connaissance » et à « théorie ».

En philosophie, « gyô » s'oppose à « connaissance » et à « théorie ».
J'ai repris en titre de ce post cette phrase-clé parce qu'elle m'interpelle quelque part, comme dit l'autre. Moi à qui lama Zeupa a donné il y a longtemps comme yidam (déité protectrice de référence, pour dire vite) le boddisatva Mandjoushri, celui qui coupe l'inconnaissance avec l'épée flamboyante du savoir et porte solennellement sur un lotus « le » livre (je cherche toujours lequel)…
Je me suis donc égaré pendant des décennies dans les labyrinthes de la connaissance, y compris sur quelques pistes plus ou moins ésotériques et ce que j'avais à comprendre/voir est peut-être que Mandjoushri représente une approche qui doit elle aussi être dépassée. L'Eveil est représenté dans le bouddhisme tibétain par une trinité : avec Manjoushri, il y a Tchenrézi (le grand compassionnel) et Vajrapani (le professeur de défense contre les forces du mal).
Heureusement, la loi du karma est bien faite et les quelques bonnes choses que j'ai dû faire par inadvertance au cours des temps infinis m'ont conduit positivement à rencontrer « dans cette vie-ci » quelques personnes qui partagent cette recherche de « la conscience dans le non-agir », de l'accès au monde sans médiateur intellectuel, et jusqu'au Cercle du thé où je peux parfois écrire des trucs comme ceux-ci sans trop d'inquiétude sur la manière dont ils seront reçus.
Maintenant, je cherche dans l'écriture le moyen d'épuiser le réel, en traquant ces liens souterrains dont la découverte est un pas vers la conscience de l'unité. L'écriture, le thé : une voie.

10 août 2004

Encyclopédie chinoise (Foucault)

« Ce texte cite "une certaine encyclopédie chinoise" où il est écrit que "les animaux se divisent en : a) appartenant à l’Empereur, b) embaumés, c) apprivoisés, d) cochons de lait, e) sirènes, f) fabuleux, g) chiens en liberté, h) inclus dans la présente classification, i) qui s’agitent comme des fous, j) innombrables, k) dessinés avec un pinceau très fin en poil de chameau, l) et cætera, m) qui viennent de casser la cruche, n) qui de loin semblent des mouches". »
Michel Foucault, Les mots et les choses, Préface

26 juillet 2004

Culture tribale et canicule

Chers amis,
je vous écris du fond de ma grotte. Il reste sur le sol quelques uns des bouts d'os et de bois, qu'il appelle, je ne sais pourquoi, des « plaies mobiles », avec lesquels Augustin jouait tout à l'heure. C'est un bon petit garçon, même s'il a souvent des jeux guerriers. La tribu élève les enfants autant que nous, n'est-ce pas ? Joue-t-il avec ses « plaies mobiles » parce qu'il est un garçon ou parce que notre culture tribale tend à renforcer tel ou tel comportement en fonction du genre des personnes ? L'inné et l'acquis, le naturel et le culturel, le masculin et le féminin… voilà des éléments de dualité qui vont nous donner de quoi discuter pendant des millénaires.
La chaleur, dans cette grotte, est à peu près supportable, à condition de ne pas trop bouger. Je n'ose imaginer comment cela se passe au-delà du boyau d'accès : la lumière qui en provient est blanche orangée (x) un peu comme celle des coulées lorsque le chaman et le forgeron préparent le métal avec lequel on fabrique les araires et les armes. Le camarade qu'on sacrifie et qu'on met dans le four avec le minerai, pour qu'il nous rachète de la violence que nous faisons à la Terre-Mère en la mariant de force avec le Feu, ne crie jamais bien longtemps. C'est déjà ça. Moi, je suis plutôt non-violent, ces vieux rites m'ont toujours procuré un sentiment désagréable, un certain malaise.
Il y a comme ça quelques éléments sacrés : pour nous-zautres, qui habitons ces grottes, La.Terre-Mère, fécondée par Le.Feu, engendre Le.Métal. L'.Air et L'.Eau n'y sont pas pour rien. On dit que plus loin, vers le soleil levant (beaucoup plus loin), Le.Bois joue un rôle particulier. Moi, je crois que, comme le bois est fait d'eau, de terre et de feu, c'est difficile d'en faire un élément Le.Bois à part entière.
A propos de dualisme, l'autre fois, je me suis fait prendre en flagrant délit. Enfin, délit n'est pas le mot. Disons que je me suis fait prendre en flagrance.
J'avais envoyé un mail à des copains. Voilà comment ça marche : on fait un grand feu avec des herbes fraîches pour qu'il fume beaucoup et il y a tout un code pour se faire comprendre, je vous passe les détails :-D, quelqu'un le remarque, il l'apprend par cœur et met dans un petit sac en cuir rond des cailloux blancs. Quand on va lui demander « y'a quelque chose pour moi dans la BALLE ? », il nous donne un caillou et récite le message qui va avec. On l'appelle serveur de mails. C'est un type vraiment utile pour la communauté. J'avais, donc, envoyé un mail, et quand je le relis, pas de doute : il est dualiste. Lorsqu'on laisse l'esprit œuvrer comme un couteau en os bien affûté, il découpe la réalité en tranches et crée des catégories pour pouvoir les nommer. Et après, il croit que les noms correspondent à la réalité. C'est le piège du nominalisme, un piège avec lequel on n'attrape pas beaucoup de gibier.
Pour l'instant, on est avant un certain J.-C., et de loin encore. Mais, d'après le chaman, cette histoire de nominalisme et de dualité n'a pas fini de faire parler d'elle. Le dénommé J.-C., croit savoir le chaman, va créer une espèce de secte assez vaste dans le temps et dans l'espace, basée sur la croyance en un Dieu unique fondé sur trois instances/personnes : Le.Père, Le.Fils et Le.Saint-Esprit. C'est un truc à s'embrouiller l'esprit : on cherche le Un et il renvoie au Plusieurs (la trinité, c'est de la dualité, comprenne qui pourra). On est dans le Plusieurs et ça renvoie au Un. Quelle boucle sans fin ! Pour la briser, il faudra sortir de la culture qui l'a engendrée. Un Eveillé viendra, je vous le dis, chaque époque mérite son Bouddha…
Il y a aussi la question du quotidien et de la fuite. Vous, je ne sais pas, mais moi, parfois, j'ai l'impression d'être en train de vivre quelque chose de déjà vécu, ou d'être en train de vivre quelque chose qui n'est pas encore advenu, comme si des trous faisaient correspondre entre eux des univers temporels distincts, ou comme si la ligne du temps s'incurvait en arc et que des cordes rejoignissent certains points entre eux : je viens de visualiser deux personnes dont je n'ai pas la moindre idée : Sen no Rikyu et Montaigne — et une voix disait : « Didier, ta remarque m'a fait penser à deux contemporains qui se seraient compris sans doute, s'ils s'étaient connus : Montaigne et Sen No Rykyû. Ils avaient su se retirer de leur monde extrêmement violent tout en y participant activement, au plus haut niveau. Quel bel exemple ! »
Quand le quotidien devient Le.Quotidien, c'est qu'il contient le Tout.Autre, autre chose que lui-même. Il est transcendé, parce que, ne serait-ce que dans un bref instant, l'Unité s'est manifestée. Mais peut-être n'est-ce que la redécouverte pour un instant d'un état ancien, celui dont parlait mon père et le père de mon père, quand le sacré et le profane étaient Un. La voix a ajouté : « Le rituel ne devrait pas être là pour séparer mais pour unir, pour amener, dans ce monde-ci, le Tout Autre. Arriver à cela, ne serait-ce que dans la fulgurance d'une intuition, c'est sortir du dualisme, atteindre "le thé, c'est-à-dire un état de conscience non dualiste (…)." »
Le thé. Qu'est-ce que je raconte ? Qu'est-ce que c'est que ce truc-là ? Est-ce que ça viendra du côté où le soleil se lève ? Est-ce que ça a des pattes ? Est-ce que ça a des ailes ? Est-ce que c'est matériel ? Spirituel ? Ça y est : encore la dualité ! Des fois, je me demande si je sais vraiment de quoi je parle. On est en 8 500 avant JC, tout de même !
En attendant que le temps passe et que la chaleur extérieure baisse, j'ai fait infuser un mélange de quelques feuilles aromatiques dans de l'eau chaude, sauge, mélisse, verveine, menthe… Ça désaltère bien. Augustin s'amuse à dessiner sur les murs de la grotte. Avec un petit chalumeau de bois de sureau, il souffle une poudre ocre sur sa main droite posée sur le mur humidifié. Quand il retire la main, ça laisse une trace entourée de rouge, comme une ombre claire. Mais où va-t-il chercher tout ça ?

Note :
(x) on dit « orangée » mais je ne sais pas pourquoi. L'avenir le dira peut-être : je lui fais confiance.
Quelques PS :
1. Buvant beaucoup de Nuwara Eliya mais ceci n'explique pas cela.
2. « Le.Feu », etc. : cette graphie bizarre est inspirée de cartes de tarot traditionnel.
3. Toutes mes excuses aux vaches de nos amies. Mais la question de la conscience n'est pas résolue pour autant : Etre sans conscience n'est-il pas ruine de la transcendance ?
4. Maintenant, ici, faire taire le tumulte de l'esprit. Harmoniser.

Buvant du thé oolong

Buvant du thé oolong, écoutant Dire Straits, la soirée s'écoule paisiblement
F. a sorti du grenier et remis en service la platine de notre jeunesse
A. vient de traverser la France, ensemble nous passons de vieux vinyles
Lisant sur la musique des poèmes taoïstes âgés parfois de mille ans
Vis cet instant, souffle l'âme d'un perse hédoniste, cet instant c'est ta vie
Essayant de saisir l'épiphanie, je reprends un peu de thé

Le temple dans les pins
dans le temple de montagne prenant le frais par une nuit d'été
avec un moine, accroupis sur le perron en pierre
deux ou trois éclairs, la pluie est sur le point de tomber
sept ou huit étoiles encore dans le ciel
le vêtement trempé de sueur momentanément on pose l'éventail sur la table
de temps à autre quand il remue l'eau puisée au torrent monte le parfum du thé
toute la nuit je l'écoute m'expliquer l'essence du soûtra du Lotus
au lieu d'emprunter la fenêtre sous les pins pour y dormir tout mon soûl
Lu Yen yang

composé dans la galerie froide et belle du temple Eau et lune
la porte secrète du petit temple est dans un sentier escarpé
entourant le corps, entourant le visage, de toute part les nuées et les fumées
l'avant-toit bas, très bas, et niché sous des arbres bas, très bas
des arbustes nains, petits, tous petits, des fleurs petites, toutes petites
voilà la bibliothèque où on lit les soûtras
au-delà de la forêt de bambous, quelques maisons
les moines de la montagne en riant disent savoir que j'ai soif
ensemble ils se lèvent pour accueillir leur hôte et faire bouillir du thé
Yang Wan li

journée d'été, inscrit sur la cellule du vénérable maître Yi
dehors la poussière vole dans la chaleur dense de l'air
dans la cour il fait aussi frais que dans la montagne
il est plaisant de préparer le thé dans un endroit aussi accueillant
des bambous épars devant la cellule, du vent plein le lit
Li Chung

au temple Ch'ung yi, divers poèmes
dans la petite cour le vent est clair les orangers exhalent leurs fleurs
l'ombre du mur a légèrement tourné, le soleil décline
de la sieste je viens de me réveiller, les livres me sont sans saveur
appuyé tranquillement à la balustrade je me rince la bouche avec du thé amer
Wen Cheng ming

TAO, poèmes traduits du chinois par Cheng Wing fun et Hervé Collet, Ed. Moundarren, 1994

26 juin 2004

Ils ne disent mot

Ils ne disent mot
l'hôte, l'invité
et le chrysanthème blanc
Ryôta

Le sourire comme pratique


J'inspire, je sais que j'inspire.
J'expire, je sais que j'expire.
J'inspire, mon inspiration devient plus profonde.
J'expire, mon expiration devient plus douce.
Inspirant, je me calme, expirant je me mets à l'aise.
Inspirant, je souris, expirant je me relâche.
Inspirant, je m'installe dans le moment présent
Expirant, je sens que c'est un merveilleux moment.
Notre respiration est un pont reliant notre corps et notre esprit. Dans notre vie quotidienne, notre corps peut être ici et notre esprit ailleurs - déconnectés. Notre corps peut être ici et notre esprit quelque part, dans le passé ou dans le futur. Cet état est appelé état de distraction.
Mais entre le corps et l'esprit il y a quelque chose et c'est la respiration. Quand vous inspirez et quand vous expirez en pleine conscience, votre corps rejoint votre esprit - seulement en quelques secondes. Quand vous inspirez et expirez en pleine conscience, votre esprit retourne à votre corps et, tout à coup, vous réalisez l'état d'unité du corps et de l'esprit, et vous devenez très présent et très vivant dans le moment présent, et vous êtes en mesure de toucher la vie profondément à ce moment.
Ce n'est pas quelque chose de très difficile. Tout le monde peut le faire. Juste une inspiration et juste une expiration, et vous êtes là, maître de vous-mêmes, et si vous continuez ainsi, la qualité de la respiration augmentera et vous apportera beaucoup de satisfaction. La qualité de votre respiration augmentera : « J'inspire, je sais que mon inspiration devient plus profonde, J'expire, je sais que mon expiration devient plus douce. » « Plus profonde - Plus douce. » « Inspir - Expir, Plus profonde - Plus douce ». La pratique de la respiration consciente devrait être maintenant plus agréable. Après deux ou trois minutes de pratique « Plus profonde-Plus » vous passez à «  Calme-Relâche » : «  J'inspire, je me calme. J'expire, je me relâche ». Cet exercice peut être utilisé chaque fois que vous sentez qu'il n'y a pas assez de calme dans votre corps ou dans votre esprit. Restez avec cet exercice aussi longtemps que cela est nécessaire pour rétablir votre calme et votre bien-être.
Pour terminer vous passez à l'exercice quatre : « J'inspire, je souris. J'expire, je me relâche ».
«  Pourquoi devrais-je sourire s'il n'y a pas de joie en moi ?  »
Sourire est une pratique. Il y a des centaines de muscles sur votre visage et quand vous êtes en colère, ces trois cents muscles sont tendus. Quand vous êtes en colère, quand vous avez peur, ils sont très tendus et vous vous sentez mal. Mais si vous savez comment respirer et sourire, la tension peut s'en aller directement. C'est ce que j'appelle le yoga de la bouche.
Vous ne devez pas être joyeux pour pouvoir sourire, parce que ceci est un exercice. Vous souriez, tout simplement, vous respirez et souriez. Et la tension s'en ira, vous vous sentirez mieux.
Je n'attends jamais d'être joyeux pour sourire. Je souris et la joie viendra après. Il y a des moments où la joie produit le sourire. Le sourire est la conséquence. Mais il y a des moments où vous produisez un sourire comme cause et alors la relaxation, le calme et la joie deviennent l'effet.
Il y a des moments où il fait très noir dans ma chambre, personne ne peut me voir, mais je continue à pratiquer le sourire à moi-même. Je souris à moi-même. Je veux être gentil avec moi-même. Je veux m'aimer et prendre soin de moi-même. Parce que je sais que si je ne sais pas prendre soin de moi-même, je ne saurais pas prendre soin de quelqu'un d'autre. Avoir de la compassion pour soi est très important. Prendre soin de soi est une pratique très importante. Quand vous êtes fatigués, en colère, désespérés, vous devriez savoir comment retourner à vous-mêmes et prendre soin de votre colère, de votre désespoir.
Ce texte est extrait d'un enseignement de Thich Nhat Hanh. Il est consultable sur le site Internet du Village des Pruniers. La photo est © Benoît Lucchini

24 juin 2004

Dans cette caverne (François Augiéras)

Dans cette caverne, un ordre, dans une apparence de désordre, me donne un faible sentiment de sécurité : l'emplacement de ma boite à thé est ici, pas ailleurs ! Mes allumettes sont glissées sous mon manteau ; telle brindille sèche sera mise aux flammes tout à l'heure ; je sais jusqu'à quel point mes brandons incandescents peuvent s'écrouler du côté de mes bottes, pas au-delà, vue l'exiguïté du campement. (p. 40)

J'ai froid ; j'ai faim ; la nourriture de l'hospice me déplaît ; en sorte que je ne me nourris pratiquement que de thé, de beurre, de sucre. (p. 42)

Ma solitude acceptée comme une fatalité, comme le revers d'une incroyable liberté, je ferme les yeux, et je reste des heures entières adorant l'Univers, la Lumière. De temps à autre, je me prépare du thé, j'allume un petit feu ; j'ai ma tasse dans l'herbe, à côté du Veda et des Upanishads. (p. 168)

Ma chemise jetée sur ma tête me protège à peine de la violence du jour (...) Je passe soudain, dans un état d'indicible joie, à une prodigieuse existence au cœur de l'Energie Universelle : puis je reviens à ma présente vie solitaire, sans amour ; je bois du thé, je mange un peu de pain ; ainsi passent les heures, jusqu'au soir délicieux. (p. 168)

Domme ou l'essai d'occupation, coll. Les Cahiers rouges, Grasset, 1997 (réédition).

04 juin 2004

Eléphant (fragment)

Liberté, sécurité, indifférence.
L'aveugle s'approche de l'éléphant. Il touche la patte et croit que c'est un tronc d'arbre. Il touche la trompe et croit que c'est un serpent. Il touche la queue et croit que c'est un fouet. Ayant fait le tour de l'animal, incapable de l'embrasser tout entier, il s'imagine qu'il est composé d'arbres, de serpents et de fouets. Jamais il ne saura ce qu'est un éléphant.
Gus et Kevin portent chacun un gros sac qui leur fait courber le dos. Ils ont laissé derrière eux cette usine textile désaffectée réhabilitée en usine affectée au formatage professionnel des esprits. Le sac de Gus traîne par terre. Les deux garçons croisent Nadia, une fille qu'ils ont connue très jolie et dont tout le monde dit que la burka qui la couvre de la tête aux pieds cache les traces des coups, des brûlures et des coupures que son propriétaire aime lui infliger. Mais Gus et Kevin vivent au pays de la social-liberté, de la sécurité et du droit à l'indifférence. Les lois qui protègent les chiens ne protègent plus les femmes. Ils ne saluent pas l'être sans nom qui s'avance sans bruit et continuent à traîner leurs sacs. Ils longent le groupe sportif Léo Lagrange — sans se demander d'où vient ce nom et pourquoi ce lion encagé dans une grange. Gus et Kevin ne se demandent plus grand chose d'ailleurs. Ils vivent dans un monde qu'ils ne sont pas appelés à construire. On le leur donne, tout a été pensé pour eux. Le seul effort qu'on leur demande est de s'y adapter et ne de pas demander autre chose que ce que le supermarché a en rayon. Maintenant l'école définit des objectifs limités mais évaluables, les professeurs ont enfin cessé de s'occuper de la conscience de leurs élèves. Leur métier bien compris est d'adapter les adolescents aux places libres à court terme sur le marché du travail. Une fois adaptés, les adolescents, tout en devenant jeunes adultes, puis adultes et ainsi de suite, attendent qu'un emploi se libère. Ce n'est pas toujours le cas, alors tout est prévu : stages de profesionnalisation, périodes d'indemnisation chômage (courtes, pour ne pas s'habituer à l'oisivité), RMI sans I, RMA avec A mais sans I non plus. Et si vraiment ils font preuve de mauvaise volonté, il restera toujours une allocation de fin de droits, parce que la société sociale de la liberté et de la sécurité n'abandonne jamais, tant elle croit en l'homme. On a limé les dents du Léo dans sa grange et on a fini par les lui arracher, par mesure de sécurité.
Gus et Kevin traînent leur sac vers le bâtiment administratif qui, dans ce drôle de lycée coupé en morceaux et balancé à travers la ville, travail d'un serial killer architecte travaillant sur commande, se trouve pas loin d'autres bâtiments de cours et d'un logement de fonction. Cest vers ce logement qu'ils se dirigent.
Dans la société de social-liberté, Kevin et Gus ont du mal à imaginer (parce qu'on ne leur montre pas ça à la télé, qui est mieux faite qu'on ne croit et non dénuée de projet) qu'à un lycée puant les égoûts dans sa partie neuve puisse être adjoint un tel endroit, un tel paradis. Une haie double montre une séparation bien nette et cache une grille inviolable. Mais tout est prévu, le plan a été longuement mûri. Gus sort de sa poche un papier et tape le code qui leur permettra de pénétrer dans ce monde inconnu : PS-CR/2004.
Les sacs se font lourds, tant la marche a été longue et peut-être aspirent-ils au dénouement. Mais il reste une épreuve : traverser le grand parc - comme prévu les chiens ont été encagés dans le chenil. Les courroies des sacs scient l'épaule et les garçons avancent moins vite. Ici, ils ne rencontreront pas

05 mai 2004

Apprentissage (Inoué)

« Pratiquer le thé, de jour comme de nuit, pendant l'hiver et le printemps, en imaginant la neige dans son cœur. En été et à l'automne, le pratiquer jusqu'à huit heures du soir, et même plus tard, par un soir de lune. Pratiquer le thé jusqu'à minuit, même si l'on est seul. de quinze à trente ans, suivre aveuglément toutes les instructions du Maître. De trente à quarante ans, en revanche, il convient de réfléchir et d'arriver soi-même aux bonnes décisions. De quarante à cinquante ans, il faut prendre le contre-pied du Maître, afin de trouver son propre style et d'être digne d'être appelé Maître à son tour : "Renouveler la Voie du thé !". De cinquante à soixante ans, refaire en tout point ce que le Maître faisait (jusqu'au simple geste de transvaser l'eau d'un récipient dans un autre). Prendre exemple sur tous les Maîtres. A soixante-dix ans, tenter d'atteindre à la maîtrise de la cérémonie dont M. Soeki a aujourd'hui parachevé le style et que personne ne saurait imiter. »
Yasoushi Inoué, Le Maître de thé

12 février 2004

Pistils d'orchidée

Depuis quelques temps, plutôt que dans la bouilloire, je chauffe l'eau dans une casserole pour l'observer pendant la montée en température : quels sont ses mouvements ? Où et comment se forment les bulles ? Qu'ont-elles à dire ? L'eau est-elle enthousiaste ? souriante ? éclatante ? frémissante ? joyeuse ? J'essaie de m'y retrouver sans mesure physique, d'ailleurs le thermomètre est tombé et il s'est cassé. Le gaz souffle sous la casserole, l'eau émet un sifflement ténu qui monte lentement à la fois en puissance et vers les aigus.
L'eau se prépare à rencontrer le thé. Le thé, lui, je l'ai choisi tout à l'heure, en regardant les boites avec leurs belles étiquettes, en tenant compte du moment et en cherchant à donner un sens à ce qui va se passer. Ce soir je suis seul, ce sera le Kway, découvert il y a une semaine lors d'un voyage à Dunkerque. J'en ai envoyé un peu dans une enveloppe à quelqu'un qui m'est important et qui en ce moment se trouve bien loin. C'est une forme de communion. Il y a dans le Kway (le kouaille, pas le K-way comme les vêtements de pluie : à Dunkerque il faisait beau vendredi passé) il y a dans ce thé des pistils d'orchidée et les orchidées ont leur propre importance. Il n'y a pas de hasard, souvent nos sens sont seulement trop grossiers pour percevoir les liens tissés entre les éléments qui font le monde.
L'eau frémit, elle va chanter, c'est le moment d'en prélever une partie pour tiédir la théière en terre brute réservée aux oolongs. Une paumée (c'est ma mesure) de feuilles de thé succède à l'eau d'annonce. Les feuilles s'ouvrent dans la chaleur humide : presque immédiatement s'exhale ce parfum de biscuit et de pain grillé à la confiture de fraise que je reconnaîtrais maintenant entre tous.
Là où j'ai besoin d'un instrument de mesure, c'est pour le temps. Quand j'ai commencé à prendre le thé au sérieux, c'était au bureau, dans le but d'arriver à cesser de travailler quelques minutes par jour : si j'arrivais à m'obliger à faire le thé et à le boire calmement, ce serait une victoire sur moi-même et sur mon environnement. Il m'a fallu des mois, près de deux ans, mais j'y suis arrivé. Au début, je laissais l'eau dans la bouilloire électrique. Ou bien j'oubliais le thé dans la théière, je le retrouvais froid et imbuvable, parfois au moment d'en faire un nouveau… en ayant oublié que je l'avais déjà fait. Maintenant je fais du thé deux fois par jour et j'en offre autour de moi.
Il me reste pourtant une inquiétude : celle de ne pas respecter les temps d'infusion. J'ai bien remarqué à quel point sont importants le dosage et le temps d'infusion. Aussi je mesure le temps avec un chronomètre électronique qui fait un bruit épouvantable à la fin de la période programmée. Ce bruit est ma punition pour ne pas savoir me concentrer sur la vacuité, pour l'animal indocile qu'est mon esprit futile, toujours susceptible de s'échapper, de s'égarer, de partir en fugue avec toutes les idées et non-idées qui passent.
Pourtant les bruits de la maison sont doux ce soir. Le vieux chien ronfle paisiblement (définition de l'âge mûr, qui me guette : les enfants sont partis à l'université et le chien est mort) ; la pendule bat la mesure, « la pendule au salon qui dit oui, qui dit non, qui dit je vous attends » ; la chouette du parc voisin hulule avant d'aller chasser. Le thé lui-même se manifeste à travers de légers bruits de vaisselle, tintement clair et léger de la théière sur le carreau de céramique, celui plus sourd du bol de terre cuite sur la table de bois. Il faudrait une pièce réservée au thé, une sorte d'oratoire, un lieu très simple, clair et vide, à l'exception d'une œuvre d'art sur laquelle fixer son attention un moment. Mais voilà qu'à nouveau je m'égare.
Ici et maintenant, au cœur de la nuit, quelqu'un vient de sonner à ma porte, en ami. La théière contient deux tasses. Je verse le thé brûlant. Partagé, il est toujours meilleur. Les bruits tranquilles de la conversation occupent l'espace.

06 février 2004

Thé De Jus D'Oignon

Ne négligeons pas ces moments de pata-poésie pure qu'une modernité inconsciente d'elle-même nous offre à l'occasion. Texte trouvé sur internet et traduit par la machine elle-même :
Thé De Jus D'Oignon
J'étais par le passé président de la société internationale pour la propagation du jus libre d'oignon. C'était une société difficile à expliquer, soutenu hors du mouvement artistique theologically-orienté minuscule connu sous le nom d'amour Nouveau. De toute façon, nous avons par le passé tenu une partie de thé en laquelle nous avons servi le thé avec (naturellement) du jus d'oignon dans lui. La quantité de jus d'oignon était vraiment extrêmement petite, mais elle a donné une nuance unforgettable de saveur au thé. Pas du tout agréable, mais unforgettable.
Marquez DeBolt, traduction automatique