26 juin 2004

Ils ne disent mot

Ils ne disent mot
l'hôte, l'invité
et le chrysanthème blanc
Ryôta

Le sourire comme pratique


J'inspire, je sais que j'inspire.
J'expire, je sais que j'expire.
J'inspire, mon inspiration devient plus profonde.
J'expire, mon expiration devient plus douce.
Inspirant, je me calme, expirant je me mets à l'aise.
Inspirant, je souris, expirant je me relâche.
Inspirant, je m'installe dans le moment présent
Expirant, je sens que c'est un merveilleux moment.
Notre respiration est un pont reliant notre corps et notre esprit. Dans notre vie quotidienne, notre corps peut être ici et notre esprit ailleurs - déconnectés. Notre corps peut être ici et notre esprit quelque part, dans le passé ou dans le futur. Cet état est appelé état de distraction.
Mais entre le corps et l'esprit il y a quelque chose et c'est la respiration. Quand vous inspirez et quand vous expirez en pleine conscience, votre corps rejoint votre esprit - seulement en quelques secondes. Quand vous inspirez et expirez en pleine conscience, votre esprit retourne à votre corps et, tout à coup, vous réalisez l'état d'unité du corps et de l'esprit, et vous devenez très présent et très vivant dans le moment présent, et vous êtes en mesure de toucher la vie profondément à ce moment.
Ce n'est pas quelque chose de très difficile. Tout le monde peut le faire. Juste une inspiration et juste une expiration, et vous êtes là, maître de vous-mêmes, et si vous continuez ainsi, la qualité de la respiration augmentera et vous apportera beaucoup de satisfaction. La qualité de votre respiration augmentera : « J'inspire, je sais que mon inspiration devient plus profonde, J'expire, je sais que mon expiration devient plus douce. » « Plus profonde - Plus douce. » « Inspir - Expir, Plus profonde - Plus douce ». La pratique de la respiration consciente devrait être maintenant plus agréable. Après deux ou trois minutes de pratique « Plus profonde-Plus » vous passez à «  Calme-Relâche » : «  J'inspire, je me calme. J'expire, je me relâche ». Cet exercice peut être utilisé chaque fois que vous sentez qu'il n'y a pas assez de calme dans votre corps ou dans votre esprit. Restez avec cet exercice aussi longtemps que cela est nécessaire pour rétablir votre calme et votre bien-être.
Pour terminer vous passez à l'exercice quatre : « J'inspire, je souris. J'expire, je me relâche ».
«  Pourquoi devrais-je sourire s'il n'y a pas de joie en moi ?  »
Sourire est une pratique. Il y a des centaines de muscles sur votre visage et quand vous êtes en colère, ces trois cents muscles sont tendus. Quand vous êtes en colère, quand vous avez peur, ils sont très tendus et vous vous sentez mal. Mais si vous savez comment respirer et sourire, la tension peut s'en aller directement. C'est ce que j'appelle le yoga de la bouche.
Vous ne devez pas être joyeux pour pouvoir sourire, parce que ceci est un exercice. Vous souriez, tout simplement, vous respirez et souriez. Et la tension s'en ira, vous vous sentirez mieux.
Je n'attends jamais d'être joyeux pour sourire. Je souris et la joie viendra après. Il y a des moments où la joie produit le sourire. Le sourire est la conséquence. Mais il y a des moments où vous produisez un sourire comme cause et alors la relaxation, le calme et la joie deviennent l'effet.
Il y a des moments où il fait très noir dans ma chambre, personne ne peut me voir, mais je continue à pratiquer le sourire à moi-même. Je souris à moi-même. Je veux être gentil avec moi-même. Je veux m'aimer et prendre soin de moi-même. Parce que je sais que si je ne sais pas prendre soin de moi-même, je ne saurais pas prendre soin de quelqu'un d'autre. Avoir de la compassion pour soi est très important. Prendre soin de soi est une pratique très importante. Quand vous êtes fatigués, en colère, désespérés, vous devriez savoir comment retourner à vous-mêmes et prendre soin de votre colère, de votre désespoir.
Ce texte est extrait d'un enseignement de Thich Nhat Hanh. Il est consultable sur le site Internet du Village des Pruniers. La photo est © Benoît Lucchini

24 juin 2004

Dans cette caverne (François Augiéras)

Dans cette caverne, un ordre, dans une apparence de désordre, me donne un faible sentiment de sécurité : l'emplacement de ma boite à thé est ici, pas ailleurs ! Mes allumettes sont glissées sous mon manteau ; telle brindille sèche sera mise aux flammes tout à l'heure ; je sais jusqu'à quel point mes brandons incandescents peuvent s'écrouler du côté de mes bottes, pas au-delà, vue l'exiguïté du campement. (p. 40)

J'ai froid ; j'ai faim ; la nourriture de l'hospice me déplaît ; en sorte que je ne me nourris pratiquement que de thé, de beurre, de sucre. (p. 42)

Ma solitude acceptée comme une fatalité, comme le revers d'une incroyable liberté, je ferme les yeux, et je reste des heures entières adorant l'Univers, la Lumière. De temps à autre, je me prépare du thé, j'allume un petit feu ; j'ai ma tasse dans l'herbe, à côté du Veda et des Upanishads. (p. 168)

Ma chemise jetée sur ma tête me protège à peine de la violence du jour (...) Je passe soudain, dans un état d'indicible joie, à une prodigieuse existence au cœur de l'Energie Universelle : puis je reviens à ma présente vie solitaire, sans amour ; je bois du thé, je mange un peu de pain ; ainsi passent les heures, jusqu'au soir délicieux. (p. 168)

Domme ou l'essai d'occupation, coll. Les Cahiers rouges, Grasset, 1997 (réédition).

04 juin 2004

Eléphant (fragment)

Liberté, sécurité, indifférence.
L'aveugle s'approche de l'éléphant. Il touche la patte et croit que c'est un tronc d'arbre. Il touche la trompe et croit que c'est un serpent. Il touche la queue et croit que c'est un fouet. Ayant fait le tour de l'animal, incapable de l'embrasser tout entier, il s'imagine qu'il est composé d'arbres, de serpents et de fouets. Jamais il ne saura ce qu'est un éléphant.
Gus et Kevin portent chacun un gros sac qui leur fait courber le dos. Ils ont laissé derrière eux cette usine textile désaffectée réhabilitée en usine affectée au formatage professionnel des esprits. Le sac de Gus traîne par terre. Les deux garçons croisent Nadia, une fille qu'ils ont connue très jolie et dont tout le monde dit que la burka qui la couvre de la tête aux pieds cache les traces des coups, des brûlures et des coupures que son propriétaire aime lui infliger. Mais Gus et Kevin vivent au pays de la social-liberté, de la sécurité et du droit à l'indifférence. Les lois qui protègent les chiens ne protègent plus les femmes. Ils ne saluent pas l'être sans nom qui s'avance sans bruit et continuent à traîner leurs sacs. Ils longent le groupe sportif Léo Lagrange — sans se demander d'où vient ce nom et pourquoi ce lion encagé dans une grange. Gus et Kevin ne se demandent plus grand chose d'ailleurs. Ils vivent dans un monde qu'ils ne sont pas appelés à construire. On le leur donne, tout a été pensé pour eux. Le seul effort qu'on leur demande est de s'y adapter et ne de pas demander autre chose que ce que le supermarché a en rayon. Maintenant l'école définit des objectifs limités mais évaluables, les professeurs ont enfin cessé de s'occuper de la conscience de leurs élèves. Leur métier bien compris est d'adapter les adolescents aux places libres à court terme sur le marché du travail. Une fois adaptés, les adolescents, tout en devenant jeunes adultes, puis adultes et ainsi de suite, attendent qu'un emploi se libère. Ce n'est pas toujours le cas, alors tout est prévu : stages de profesionnalisation, périodes d'indemnisation chômage (courtes, pour ne pas s'habituer à l'oisivité), RMI sans I, RMA avec A mais sans I non plus. Et si vraiment ils font preuve de mauvaise volonté, il restera toujours une allocation de fin de droits, parce que la société sociale de la liberté et de la sécurité n'abandonne jamais, tant elle croit en l'homme. On a limé les dents du Léo dans sa grange et on a fini par les lui arracher, par mesure de sécurité.
Gus et Kevin traînent leur sac vers le bâtiment administratif qui, dans ce drôle de lycée coupé en morceaux et balancé à travers la ville, travail d'un serial killer architecte travaillant sur commande, se trouve pas loin d'autres bâtiments de cours et d'un logement de fonction. Cest vers ce logement qu'ils se dirigent.
Dans la société de social-liberté, Kevin et Gus ont du mal à imaginer (parce qu'on ne leur montre pas ça à la télé, qui est mieux faite qu'on ne croit et non dénuée de projet) qu'à un lycée puant les égoûts dans sa partie neuve puisse être adjoint un tel endroit, un tel paradis. Une haie double montre une séparation bien nette et cache une grille inviolable. Mais tout est prévu, le plan a été longuement mûri. Gus sort de sa poche un papier et tape le code qui leur permettra de pénétrer dans ce monde inconnu : PS-CR/2004.
Les sacs se font lourds, tant la marche a été longue et peut-être aspirent-ils au dénouement. Mais il reste une épreuve : traverser le grand parc - comme prévu les chiens ont été encagés dans le chenil. Les courroies des sacs scient l'épaule et les garçons avancent moins vite. Ici, ils ne rencontreront pas