27 novembre 2017

Retour à la vie champêtre

I

Je n’avais aucun penchant pour le train du monde, 
Je n’aimais que les montagnes et les forêts. 
Tombé par mégarde dans les panneaux du siècle,
D’une traite, il m’en coûta trente-cinq années. 

L’oiseau captif songe à son ancien bois,
Les poissons du bassin à la rivière ondoyante ;
Rustique, je reviens enfin à la campagne,
J’espère faire de l’argile une terre arable.

Mon jardin est fait de sept carrés potagers ;
Ma cabane possède à peine deux ou trois chambres ;
Un frêne et un érable donnent un peu d’ombre,
Devant la terrasse, groseilliers et framboisiers.

Au loin, dans la brume, le village et les hommes ;
Sur chaque toit, trainent de lentes fumées,
Le chien du voisin va, aboyant sur les passants ;
Un coq chante, tout à côté d’un cerisier.

Chez moi, rien des grossiers tumultes de la ville ;
Isolé, je laisse le silence envahir la maison de bois.
J’ai longtemps vécu comme en cage ;
Me voici enfin rendu à moi-même. 

II

A la campagne, on ne voit pas grand monde ;
Dans la petite rue passent de rares pèlerins.
En plein jour, souvent, la porte reste close ;
A Cao tang, les mondanités sont exclues !

De temps à autre, gens du village,
Devant la poste, nous nous arrêtons,
Nous retrouvant, parlant du vent sur la colline
Et de la pluie, qui se fait rare. 

Salades et courgettes, jour par jour, ont pu croître,
Carré après carré, mon jardin a grandi ;
Mais j’ai grand’ peur, givre ou grésil venu,
Que les carrés ne disparaissent sous le chiendent. 

III

J’ai semé des pois dans les carrés du sud ;
L’herbe s'est élancée, les semis sont maigres.
Tôt debout pour débroussailler,
Les mains dans les poches, je rentre avec la lune. 

En hiver les travaux du jour : 
Fendre le bois, allumer le feu. 
Le fer de hache vole dans l'air glacé. 
Posée sur le billot, la bûche éclate. 

Forte est la pente et les arbres nus. 
Dans la lumière froide du sous-bois, 
Chaque jour, je monte jusqu'au chemin des Loups. 
Sur le plateau d'Artois, paysage ouvert à l'infini.

IV

Je marche souvent par les monts et par les bois ;
Nos vastes paysages m’enchantent.
Il arrive qu'emporté par un pas, puis un autre 
J'aille jusqu'à la tombe de la sorcière. 

Je laisse le chemin décider, 
Me mener entre cailloux et flaques de boue.
Il reste des vestiges, une petite chapelle.
La grille, fermée, une ruine au bout d'une allée sombre. 

J’interroge un paysan au bord d'un champ :
« Tous ces gens, que sont-ils devenus ? »
Lui, se tournant vers moi, en bouddhiste, répond :
« Tout passe, tout meurt, rien ne demeure. »

Quarante ans changent tout, le village et les gens :
Cet aphorisme-là, certes, n’a pas menti. 
La vie humaine est comme une fumée légère :
Tout finit par s'estomper et se dissiper. 

V  

Morne, seul, avec mon bâton, je rentre
Par les sentiers boueux et épineux.
L’eau du ruisseau est grise et peu profonde,
Et, même bouillie, serait impropre à tout usage. 

Du bon vin apporté de voyages anciens,
Un gravlax et du riz, et j’appelle mes copains. 
Le soleil passe la crête, l’ombre emplit la maison ;
Le feu illumine Cao tang de l’intérieur.

La paix vient ; j’en veux à la nuit trop brève ;
Voici de nouveau que le jour va poindre. 

VI

Les semis de printemps envahiront la serre,
Les tomates vont donner, autant que les poivrons !
Si las que je sois parfois de porter les outils,
Le soir, de vin léger, je sais me réjouir. 

Je fais un dernier tour dans le jour qui décroit,
Revenu dans ma bibliothèque, à ma table, 
Le poème d'un vieux lettré chinois m'attire. 
Je te salue, ami, par-delà dix-sept siècles. 

Si l’on demande ce qu'il me reste à espérer,
Alors que jusqu’à cent ans, il faut travailler : 
Que framboises et tomates, au moins, viennent bien ;
Qu'on puisse faire des confitures et des coulis. 

Tel est simplement le fond de mon cœur. 
Qu’un chemin s’ouvre aux amitiés fécondes ! 


D'après un poème de Tao Yuanming 陶淵明, 365-427, 

À Cao tang 草堂, Pas-de-Calais, 2017


Trois vieillards rient au bord de la rivière