15 octobre 2005

Les écrivains et les livres cités par Jim Harrison dans « En marge »

Dans En Marge, Jim Harrisson plonge au coeur de la littérature contemporaine américaine et de la littérature tout court. Le livre déborde de références. Lorsque j'ai trouvé Dostoïevski ou McGuane cités pour la nième fois, j'ai eu envie de retrouver les occurences précédentes et je me suis surpris à cocher et cocher encore pratiquement chaque page, pour Fédor, Thomas et d'autres, des dizaines d'autres. Mon exemplaire a fini par ne plus ressembler à rien, pas même à un livre civilisé (ce qu'il n'était d'ailleurs pas) aussi j'ai fini par faire appel aux merveilles de l'informatique pour faire une base de données. Comme l'édition que j'ai eu en main ne possède pas d'index, voilà qui en tient lieu. C'est une autre façon de lire En Marge.
Les références renvoient à l'édition de poche (illustration).
• De Adler à W.H. Auden :
• De Bachelard à Byron :
• De Erskine Caldwell à James Oliver Curwood :
• De Stig Dagerman à Duncan :
• De Edelman à B. Fuller :
• De Gandhi à Huxley :
• De V. Ivanov à E. Kray :
• De P. La Mure à Jack Ludwig :
• De Maïakovski à Nietzsche :
• De Flannery O'Connor à Frederic Prokosch :
• De Quascha à Rousseau :
• De Steven Sandy à William Styron :
• De James Tate à Mark Twain :
• De Ungaretti à Voznesensky :
• De David Wagoner à Richard Wright :
• De William Buttler Yeats à Yuan-Wu :

13 octobre 2005

Treize amours mortes

amours mortes vous mes amours mortes
quittez ma mémoire disparaissez vite
la mémoire souffre des amours mortes
hors de moi oui éloignez-vous de moi
quittez-moi amours enfin quittez-moi
les amours de Marquise et oui encore
les amours de Cosette et puis encore
les amours de Nathalie et oui encore
les amours de Mathilde oui et encore
les amours de Justine et puis encore
les amours d'Alexandra & puis encore
les amours de Catherine oui & encore
les amours d'Emmanuelle oui & encore
les amours d'Amandine et puis encore
les amours de Bénédicte oui & encore
les amours de Cora Carina oui encore
les amours de Marie-Ange puis encore
les amours de Juliette puis toujours
amours mortes vous mes amours mortes
cachées dans les plis de ma solitude
ensevelies dans la vacuité de ma vie
dans les limbes de ma mémoire hantée
liées à ma fade volonté de puissance
sédimentées pétrifiées gelées figées
dans les fosses de ma folie onirique
dans les abysses opaques de mon cœur
funèbre paradoxal douloureux sauvage
QUITTEZ-MOI AMOURS ENFIN QUITTEZ-MOI

12 octobre 2005

Le fort protège le faible

Pour Gilbert
qui se souvient
de la Saint Georges 1939


Il y avait l'avenue du Pesage, avec la maison de mes grands-parents. Au coin, l'avenue des Maréchaux et, vers le monument aux morts, une grande demeure sombre, derrière d'épais murs de brique. Elle me faisait peur. J'avais douze ans et je croyais que cette maison était une prison pour enfants. On l'appelait la maison de correction. Une correction, pour moi, c'était une fessée, une raclée, une bonne trempe. Pourtant j'avais assez peu l'expérience de ces choses-là - dans ma famille on pratiquait plutôt la remontrance teintée de mansuétude.
L'expérience de la vie en groupe, moi, le fils unique, je l'avais depuis peu, à travers le scoutisme. Je m'exaltais à la lecture des aventures du Prince Eric, les illustrations de Joubert magnifiaient des adolescents androgynes. Le scoutisme expliquait le monde par des symboles, la poignée de main gauche et quelques constructions ésotériques soudaient le groupe. Le geste du salut était riche de significations : l'index, le majeur et l'annulaire soudés - la solidarité, tous pour un, un pour tous ; sous la paume le pouce recouvre la dernière phalange de l'auriculaire : le fort protège le faible.
Lorsque je passais devant la maison des enfants, je ne savais pas trop où était le fort, qui était le faible, je m'interrogeais sur le rôle que j'aurais à jouer dans la vie : comment le découvrir ?
Le monde qu'on me proposait était pourtant simple et clair. Il y avait le bien, il y avait le mal. Pour s'y retrouver, on faisait chaque soir un examen de conscience. Au collège, notre directeur de conscience, librement choisi parmi les prêtres, nous aidait à débrouiller les cas difficiles. Mais les frontières se brouillaient à cause de cette maison et des enfants qui y vivaient et que je ne voyais jamais. Le monde dans lequel je cherchais à me repérer avait un envers. Il était comme un vêtement qu'on aurait pu retourner.
Plus tard, vers la fin de mon adolescence, il y eut la révolution (j'emploie ce mot pour rire). J'ai oublié le scoutisme, la maison des enfants et les examens de conscience. Les frontières entre le bien et le mal se sont brouillées un peu plus. C'était l'époque du CAP, du MLAC, du PSU. Qui s'en souvient ? Tout a tellement vieilli… Une génération a voulu changer le monde en commençant par se changer elle-même. Mais l'histoire sert toujours les mêmes plats amers : une pulsion de vie, le désir de liberté s'éveille, aussitôt les émules de Robespierre et de Lénine arrivent en courant, ils sont pires que les sbires appointés de la répression, ils ne parlent que de pouvoir et de rapports de force, le sursaut vers la liberté finit dans la terreur. 1793, 1848, 1905, 1917… On apprend l'histoire aux enfants de manière à ce qu'ils ne puissent pas en tirer de leçons.
La terreur, on l'a choisie douce, c'est l'apport de la modernité. On entre dans les siècles de la barbarie douce. Pour mille ans. Il ne faut pas s'inquiéter, cela ne sera pas douloureux. La psycho-sociologie a suivi les progrès de la médecine anesthésique. Tout est complexe, voilà la dernière justification. On doit évaluer, classifier, trier. A trois ans, un gamin est déjà sur des rails, avec son livret d'évaluation qui va l'accompagner toute sa scolarité, toute sa vie peut-être. Comme les livrets d'ouvrier du XIXe siècle. Comme les carnets sanitaires des prostituées des maisons closes. Ceux des enfants à venir tiendront sur une carte à puce. Compétence acquise/en voie d'acquisition/non acquise. Vous cherchez du boulot ? Mettez votre carte dans le lecteur. Le profil ne correspond pas. 87% de vos compétences coïncident mais pour optimiser la profitabilité, nous souhaitons un score supérieur à 95%. Désolé, merci. La liberté de l'homme, sa capacité à construire sa propre vie en participant à la construction collective du monde, ce à quoi l'on croyait chez les scouts ? Fadaises, fariboles & faridondaines.
Qui se souvient de Marcel et de Pierrette, d'Anne et d'Eugène ? Ils sont vieux, maintenant. Il faudrait aller les voir pendant qu'il est encore temps. En 1950, à Roubaix, démocrates chrétiens ou protestants, ils emmenaient des troupes de cent vingt enfants voir la mer et la campagne. Tout le monde voyageait sur des remorques tirées par des tracteurs. Je suppose qu'on chantait. Ou bien ils partageaient carrément leur vie avec les groupes d'enfants, leur chambre donnait sur le même palier que le dortoir, ils réinventaient les vieilles institutions. Il y a fort à parier que ce que je prenais pour une prison d'enfants quand j'avais douze ans était une maison habitée par des gens comme eux. Salut au drapeau le matin, marche en rangs par deux, garde à vous pour parler au directeur : oui, ça se passait sûrement comme ça. Et l'idéal adolescent de Joubert, sain, fort et beau était sans doute aussi le leur. L'époque était comme ça, cette esthétique ne convient plus, mais ce mot, idéal, voulait dire quelque chose. Chez les scouts, on discutait de l'idéal alors que voici venir l'ère de la quantophrénie assistée par ordinateur.
Scout un jour, scout toujours. Comment ai-je pu être naïf à ce point ? Il y a tellement longtemps que je suis éducateur spécialisé. Le fort protège le faible ? Non, c'est bien fini. Maintenant le fort évalue le faible.
Berghezeele, novembre 2000
Cette nouvelle a été publiée en 2001 par les éditions Sansonnet, dans un recueil intitulé Pour ne pas vivre idiot, en soutien à une école d’éducateurs en lutte. Sous la direction de Thierry Maricourt, et illustré par Maud Lenglet, l'ouvrage contient des nouvelles de Didier Daeninckx, C. Edziré Déquesnes, Sébastien Doubinsky, Med Hondo, Serge Livrozet, Thierry Maricourt, Isabelle Marsay, Roger Martin, Ricardo Montserrat, Valère Staraselski, Didier Vandemelk et Cathy Ytak.

10 octobre 2005

Les larmes de Guan Yin

Pour réussir le thé breton, il faut laisser l'inconscient, ce pilote de nos profondeurs, procéder par les effractions dont il fait, dit-on, un langage.
Au début, une bonne intention — mais on sait que l’enfer en est pavé. Et une gaffe.
La bonne intention : offrir du thé à L. Choisir le Tie Guan Yin pour évoquer tel voyage qu'il fît en Chine.
La gaffe : préparer le thé dans le respect scrupuleux de toutes les règles, de température, de dosage, de temps d'infusion, mais en négligeant la principale qui est de puiser soi-même l'eau à la source, celle-ci fut-elle une bouteille d'eau minérale.
Nous sommes assis, L., F. et moi, parmi les éléments, quelque part sur le cordon dunaire qui surplombe l’anse magique et sauvage de Roguennic. La mer respire selon son rythme lent, le vent de nord-ouest autorise le soleil à percer un ciel changeant comme une émotion instable.
Nous partageons le thé. La première gorgée ébranle ma raison et mes sens. Quel est ce goût de sel puissant et inattendu ? Illusion ou réalité ? D’où provient-il ? De ma tasse ? De la théière ? De l’air marin ?
L’étonnement des deux autres est furtif mais perceptible. Le thé est bel et bien salé.
Nous en rions, offrons à la dune le contenu de nos tasses et de la théière.
Mais le fait est là : ce thé salé, ce sont les larmes de Guan Yin.
Qu’il soit donc dédié à L., qui traverse l'épreuve de la terre gaste, à Cyann, qui éprouve la dislocation du corps social, à Béatrice, à Sophie, qui combattent chaque jour la douleur physique. Dédié à tous ceux qui souffrent, ceux du Cercle, amis, et ceux d'ailleurs, à tous les êtres vivants qui poursuivent leur chemin en éprouvant chaque jour la première des Nobles vérités. Le Bouddha de Compassion, parfois, pleure.