29 mars 2007

Les Divas passagères


Chers amis d'ici et d'ailleurs,

C'est avec beaucoup de plaisir que nous vous invitons à venir découvrir notre récital à quatre voix (féminines), mûri pendant plus de deux ans, enfin prêt à être partagé...
De la chanson intimiste, française, anglaise ou italienne (avec une pointe d'occitan), du jazz, du classique, le tout a capella.
Nous chantons à Bruxelles (Le Cabaret aux Chansons) le samedi 28 avril et à Rongy (Brunehaut, à deux pas de Tournai) les vendredi 4 et samedi 5 mai. Ne tardez pas à réserver, le nombre de places est limité.
Il s'agit d'une formule "en appartement", donc, si le récital vous plaît, prévoyez vous aussi d'étonner vos amis, de fêter votre belle-maman, de surprendre vos maris.
Il suffit de nous ouvrir vos salons, greniers, granges ou garages, d'y placer quarante ou cinquante chaises, et nous débarquons avec nos chansons sur canapé, notre guéridon, une fricassée de champignons en hors d'oeuvre, sans tambour ni trompette. Quoique...

Merci de faire des vagues!...
les 28 avril à Bruxelles, 4 & 5 mai à Rongy, et bientôt chez vous.

pour les Divas Passagères,
Hélène Bargibant
112 rue de Tournai
7620 Brunehaut (B)
helene.bargibant@euphonynet.be

23 mars 2007

Lire

B., le 9 mai 1997

Chère D.,

Tout d’abord un grand merci pour ta lettre de la semaine dernière. Je suis heureux que tu aies apprécié ce formidable roman qu’est Cent ans de solitude. Je crois qu’en lisant ce livre tu as rencontré la littérature (...).

Quel est ce livre qu’on trouve dans une bibliothèque familiale, dans une librairie, chez une amie ? A-t-il quelque chose à nous dire ? Peut-être… On le prend en main, on regarde comment il est fabriqué, c’est un petit livre de poche sans grande valeur marchande ou un beau livre relié. Il y a souvent une illustration en couverture, qui retient l’œil un instant. On le retourne. La quatrième de couverture donne probablement (sauf, bien sûr, dans le cas d’un beau livre relié) des indications sur le contenu, sur l’auteur. On regarde encore ce livre avec circonspection, il faut en examiner tellement pour faire une rencontre d’importance ! Celui-là est -il un futur compagnon fidèle ou risque-t-on la déception ?

On se souvient des vrais bonheurs que la littérature nous a apportés, ces journées et ces nuits passées avec un livre qui devenait aussi présent que les êtres qui nous entourent, et même, avouons-le, parfois plus. Ah ! Rentrer à la maison, le soir, en sachant qu’en un livre fidèle un autre monde nous attend, s’installer confortablement, mettre dans le lecteur de CD une musique qui corresponde à ce qu’on va lire, prendre le livre connu, l’ouvrir où se trouve le signet… et passer dans une autre dimension du temps et de l’espace. Pas besoin d’un vaisseau capable d’atteindre la vitesse lumière ! Voilà que nous voyageons en Amérique du Sud dans un pays improbable qui ressemble à la Colombie… Que nous participons avec Fabrice del Dongo, sans la comprendre vraiment, à une campagne napoléonienne de la fin du XVIIIe siècle et que nous rencontrons la belle Clélia … Que nous vivons avec Guillaume de Baskerville une enquête incroyable dans un monastère bénédictin du XIIe siècle, pleine de rebondissements et d’humour … Que nous partageons en Allemagne, lors de la montée du nazisme, l’amitié de deux garçons que l’histoire sépare et dont la fidélité sera plus forte que la mort …

Alors, ce livre-ci, celui qu’on a en main sans le connaître encore, où veut-il nous emporter et a-t-on envie d’y aller ? Sommes-nous prêts à ce voyage-là ? Ce voyage est-il de qualité ? On ouvre les premières pages, on les feuillette d’un doigt encore peu convaincu. Et parfois le miracle s’accomplit. Derrière cette couverture banale, semblable à tant d’autres, il y a un bloc d’humanité, une histoire qui nous touche au plus profond, une puissance qui nous change et nous rend meilleurs. Nous sommes possédés par une écriture, la beauté des phrases, leur musique, par une histoire. Cette histoire nous concerne même si elle met en scène des tibétains et des chinois du début du XXe siècle , des grecs, des égyptiens et des ossètes de l’antiquité ou des américains contemporains, quand ce ne sont pas des hommes des époques futures, dans des contrées pour le moins lointaines. Parce que l’humanité est une à travers l’espace et le temps.

Une bibliothèque nous offre la possibilité de rencontrer des gens qu’on ne rencontrerait pas dans la vie, parce qu’ils sont loin de nous dans l’espace ou le temps, peut-être même sont-ils morts depuis longtemps. On peut avoir en main, pour quelques francs, le meilleur de l’humanité, le concentré de son génie, sous la forme de romans, de biographies, de récits historiques, de récits de voyage , etc. La bibliothèque nous offre la possibilité de nous libérer de l’ici et du maintenant, pour y revenir ensuite plus libre et plus vivant. Ce mouvement, c’est ce que j’appelle culture.

Mais il faut, pour aller plus loin, apprendre à s’ouvrir à de nouvelles formes littéraires. En effet, les premiers livres que nous lisons lorsque nous sommes enfants sont souvent basés sur la répétition de schémas et sur la création et la re-création permanente de mondes où le lecteur trouve des repères faciles. Toute une littérature adulte fonctionne ensuite selon les même principes et elle est bien agréable à lire, elle nous renvoie sans cesse à des structures connues et rassurantes — même lorsque c’est pour nous faire peur ! La difficulté du lecteur intrépide qui cherche à s’affranchir de ces formes finalement assez faciles est qu’il va se trouver souvent en terrain inconnu et qu’il va devoir accepter d’être parfois bousculé et dérouté par des formes d’écriture inusitées. C’est encore affaire de culture, la culture est la boussole qui permet de s’orienter. Et ta boussole, tu devras la construire toi-même, livre après livre, en confrontant tes découvertes avec celles de tes guides et amis.

Je m’aperçois que je t’ai écrit un vraie dissertation sur la lecture ! C’est que je crois que les êtres humains ne sont pas pleinement humains dès leur naissance : il suffit de les observer, ils sont visiblement loin d’être achevés physiquement, intellectuellement et spirituellement . Sa propre humanité est quelque chose que chacun doit construire tout au long de sa vie et la lecture est sans doute l’un des meilleurs moyens de le faire, puisqu’elle est le moyen de sortir de soi-même et de rencontrer des géants de la pensée et de l’art. Le secret est de ne pas oublier qu’après être sorti de soi-même il convient d’y revenir et de faire de ses trouvailles des occasions de partage, d’échange, de communication, de contact, de relation… avec autrui et surtout pas de repli sur soi.

Ma chère D., en ce qui concerne le partage des découvertes littéraires, tu peux compter sur moi pour t’indiquer ce que j’ai trouvé et ce que je trouverai. J’espère que tu en feras de même avec moi et avec d’autres. La plupart des livres évoqués dans cette lettre sont disponibles à B. ou à P., tu en as d’ailleurs déjà lu certains.

Je suis heureux de te voir grandir et j’attends avec impatience nos prochaines conversations, qu’elles soient de vive voix ou épistolaires. (...)

N’oublie jamais que la connaissance sans l’amour n’est rien !

(...)

04 mars 2007

Conférence de Luc FERRY

Les Peurs
Alors que nous recherchons la « vie bonne », la sérénité, nos vies sont coincées par des peurs :
• Sociales (violence symbolique)
• Phobies (quand l’angoisse est là, on est coincé, fermé)
• Peur de la mort.
Philo/sophia : recherche de la sérénité.
D’ailleurs, la troisième peur, celle de la mort, c’est plutôt la peur de la mort de nos proches qui nous effraie, plus que la nôtre. « Nevermore » : la mort est l’expérience de l’irréversible, de la finitude.
Salut : étymologiquement, « se sauver ». Comme les grandes religions, les philosophies sont des doctrines du salut. La différence, c’est que les philosophes grecs disent qu’on peut se sauver par soi-même et par la raison et les grandes religions, disent : pas par soi, par un Autre, et par la foi.
Les grandes philosophies sont des doctrines du salut sans dieu.

Les peurs prolifèrent dans les sociétés occidentales, peur de tout. Chaque année, une nouvelle peur s’ajoute aux autres. Nous avons peur des vaches folles, des poulets, de la couche d’ozone, du réchauffement climatique… (liste immense). Ce qui est nouveau, c’est que la peur n’est plus considérée comme une passion à surmonter, mais comme une passion positive, qui ouvre à la sagesse et au principe de précaution. Avant, on disait : « Un grand garçon, ça n’a pas peur. » On disait que la peur était une passion honteuse, négative, pas virile. Sous l’influence des mouvements écologiques et pacifistes, la peur s’est déculpabilisée. C’est comme si l’inquiétude était devenue le premier pas avant la réflexion. C’est une grande différence d’avec l’Europe des Lumières.

D’où ça vient, et comment en sortir ? Les mots clé sont « déconstruction » et « mondialisation ».
Déconstruction : le XXe à été le siècle de la déconstruction sur le plan culturel : la tonalité en musique, la figuration en peinture, les lois du roman classique… Ebranlé l’essentiel des valeurs religieuses, morales et politiques. Et si on croit encore à des valeurs, c’est avec une foi vacillante qui n’a rien à voir avec la foi ancienne.
Le XXe siècle, c’est aussi le siècle des avant-gardes. Comme dit Nietzsche, on a philosophé au marteau. Toutes les valeurs transcendantes auxquelles l’homme a cru pendant 20 siècles ont vacillé, et moi, dit Nietzsche, je vais les achever.
Critique du nihilisme. Attention, Nietzsche entend par « nihilisme » le contraire de ce que nous entendons généralement. Habituellement on confond nihilisme et no future. Pour Nietzsche, le nihilisme est au contraire bourré d’idoles, des valeurs transcendantes, de droits de l’homme, d’idéal, de catholicisme, etc. La conviction de Nietzsche est que les petits humains ont inventé ces idéaux supérieurs pour déclarer que l’idéal est supérieur au réel. Le Ciel est supérieur à la terre, l’au-delà à l’ici-bas. Les socialistes, les libéraux reproduisent cette hiérarchie qui est en fait la négation du réel. D’où la définition nietzschéenne du nihilisme.
Pour Nietzsche, le vrai sage est celui qui regrette un peu moins, qui espère un peu moins et qui vit le présent un peu plus.
Le passé nous tire en arrière (nostalgie, passions tristes). Si on quitte le passé pour aller vers l’avenir en espérant que changer de femme, ou de voiture, ou de MP3 va nous sauver, on s’illusionne. Passer d’une Peugeot à une Mercedes, ça peut être amusant quelques heures, pas plus.

Amor fati : amour de ce qui est. Etre « sage », c’est aimer ce qui est là.
C’est se débarrasser des idoles, des idéaux.
A force d’attendre de vivre, on finit par oublier de vivre (Sénèque).
Pourtant, seul le présent existe.

La déconstruction a préparé la mondialisation libérale.
Tous les grands déconstructeurs étaient plutôt du côté de la vie de bohème. Ils n’étaient pas des bourges. Ils étaient dans les marges, du côté de la gauche d’avant-garde.
Or ils ont préparé le terrain de la mondialisation libérale, qui exige que tout devienne marchandise, qui exige l’aplatissement de toutes les valeurs.
Une source est dans le discours scientifique, ce qu’il propose vaut pour tous. Le discours scientifique est le premier discours à vocation mondiale.
Quand il apparait, le discours scientifique est lié à des valeurs. Cf. les Lumières. Dominer le monde intellectuellement et pratiquement mais pour émanciper l’homme et rendre les hu-mains plus heureux. Emanciper les humains de la tyrannie de la nature. « Grâce aux scien-ces, nous pourrons prévoir et prévenir les catastrophes comme le raz de marée de Lis-bonne. » La science n’est pas une fin en soi. Elle n’est pas son propre but.
Or maintenant la science est intégrée dans une structure de compétition mondiale de tous contre tous. Nous sommes dans une logique de benchmarking permanente (se comparer tout le temps). C’est un effet terrifiant : le progrès change de sens. Au XVIIIe on imagine qu’on va progresser vers le bonheur des hommes. Maintenant on sait que si on ne progresse pas, on meurt. On est dans une logique économique et sociale darwinienne. Le progrès ac-célère tous les jours. Mais on n’est plus certain que ce soit un progrès. On avance comme un gyroscope qui tombe s’il arrête de tourner mais on ne sait plus où on va.

La mondialisation a quatre conséquences.
1- Peur liée à la perte du sens de l’histoire.
2- Plus personne ne contrôle le processus historique. Fin de la promesse démocratique. Cf. les métaphores qui fusent à propos des OGM : celle de l’apprenti sorcier, celle de Frankenstein, qui sont des mythes de la dépossession. La créature échappe et menace de noyer la terre. C’est la trahison de l’idéal démocratique. Nous avons à faire à des processus anonymes et aveugles : il n’y a pas de gros salauds. C’est « un process sans sujet ». (Althusser) Comment reprendre la main ? Le problème de fond, c’est que les politiques n’ont pas assez de pouvoir, pas le contraire.
3- Hyperconsommation. Nous consommons de tout, école, religion, politique. Nous sommes consommateurs tous azimuts. Rien n’échappe à la sphère de la consommation.
4- Contradictions culturelles de l’homme de droite. Tout fout le camp et décline. Le « type » (wébérien) d’homme de droite est dans une contradiction majeure : d’un côté il déplore de déclin (Nicolas Baveresse) et c’est son monde qui fait ça. Un drogué augmente et rapproche les prises : c’est la définition du client de supermarché. Un hypermarché vu d’il y a cent ans, c’est un attentat à la valeur, au bon goût, à l’utilité. 68 déconstruit les valeurs pour que nous devenions tous des conso-zappeurs. Pour-quoi les gens comme Lagardère, comme Pinault achètent-ils de l’art contemporain ? Parce qu’ils sont fascinés par la déconstruction. Ils partagent les « valeurs » des artistes contemporains.

Comment on en sort ?
Est-ce que quelque chose résiste à la libéralisation du monde ?
OUI. Le monde n’est pas totalement transformé en marchandise. Ce qui résiste, c’est la vie privée.
En réalité, ce que nous avons vécu, c’est le passage des valeurs dans la sphère privée. C’est là maintenant qu’est le sacré.
En effet, pourquoi risque-t-on sa vie ? Jusqu’à il y a peu, pour Dieu, la Patrie, la Révolution.
De 1945 à aujourd’hui, la droite est patriotique, la gauche révolutionnaire : deux positions sacrificielles. Pendant ce temps, on ne s’intéresse pas à la vie privée, à l’individu. Côté progressiste, il est même question de briser la famille, elle est une idée de droite.

Or, Dieu est maintenant incarné dans l’humanité elle-même. On ne risquerait notre vie que pour d’autres personnes, nos proches, les enfants.
On est passé des transcendances verticales, les grands systèmes sacrificiels, à des transcendances horizontales. La famille moderne est fondée sur le mariage d’amour (le divorce aussi, d’ailleurs). La famille d’antan (ancien régime) était décomposée, recomposée, mono-parentale, plus que maintenant, à cause de la mortalité. Finalement, maintenant c’est paradoxalement plus stable et il y a un vrai souci des enfants.
Rappelons la pratique du charivari : l’intimité n’existait pas. Les maisons n’avaient pas de portes ni de couloirs.
Or, voici le mariage d’amour. Grâce au capitalisme (salariat), les individus quittent les communautés villageoises qui les contrôlaient, notamment les femmes. L’autonomie financière conduit à l’autonomie affective qui conduit au mariage choisi (on parle de « se marier » au lieu d’ « être marié-e ») qui conduit à l’investissement des enfants.
La famille moderne est la matrice des solidarités, des associations. Il y a renversement des rapports entre sphère privée et transcendances verticales.

Nous sommes face à deux France qui s’éloignent l’une de l’autre. Il y a deux peurs symétriques : une France qui a peur de la mondialisation, des délocalisations, etc. C’est la France des « petits ». 7 millions de personnes vivent avec moins de 800 € / mois. Il y a une autre France, sarkosyste, tétanisée à l’idée qu’on risque de ne pas d’adapter à la mondialisation et se transformer en une deuxième Argentine.

L’individu moderne est dans une situation angoissante. Nous aimons plus que jamais, nous sommes dans un monde psy, dans une logique d’affectivité croissante. Et on est privé des filets de sécurité de la religion. Même ceux qui sont croyants le sont moins qu’avant. Aimer plus, c’est affronter un risque plus grand.

A partir des questions du public

Précision : la famille n’est pas la seule solidarité. Elle est la matrice de toutes les autres. C’est à partir d’elle que se développe la compassion.

Ecologie : il y en a deux, une humaniste pour laquelle le problème c’est de ne pas laisser un monde inhabitable à nos enfants. Et une intégriste pour laquelle l’amour de la nature nie l’homme. Celle-là était dans les lois nazis de 1935, elle est réactionnaire, prône le retour en arrière.

« Si Dieu avait voulu que nous soyons heureux, il ne nous aurait donné ni la liberté, ni l’intelligence. » Kant

La déconstruction nous a libéré des transcendances sacrificielles. C’est positif. Le processus d’égalisation au niveau mondial, ça va être une bonne chose pour ceux qui partent d’en des-sous de la moyenne. On doit espérer que le monde sera plus égalitaire et que ça va bien se passer. Mais ça ne va pas se passer très bien…

La peur sociale : il n’y a rien qui ne nous enferme plus que le regard social. Voir les cyniques grecs. Tout le travail de la philosophie, c’est de convertir les humains à un regard autre.

Les grandes philosophies sont comme de magnifiques châteaux à visiter. Il y a différentes philosophies parce qu’il y a différentes peurs et surtout différentes stratégies, différents dis-positifs, pour en sortir.

L’origine de l’ « horizontalisation » de la transcendances est mystérieuse et peut le rester. Il y a un paradoxe : la transcendance (sortir de soi) dans l’immanence (au cœur de soi). Il est inutile d’entrer dans un système d’explication fondamentaliste. Tout ne s’explique pas. Il n’y a pas de cause à chercher. Garder le mystère ? De toutes façons, on n’y comprend rien, à cette existence humaine.

« Merci de nous avoir permis, à nous qui sommes de grands dupes, d’être un peu moins dans l’errance. » Jean-Louis Losey

Notes prises lors d'une conférence à l'IRTS du Nord-Pas-de-Calais, le 15 février 2007, plubliées sans avis du conférencier.