27 novembre 2010

Aldous avait raison

"Notre armée tient prêts les canons de son artillerie et si les envahisseurs osent faire intrusion sur notre territoire terrestre, aérien ou maritime, nous transformerons le cœur de nos ennemis en une mer de feu", a prévenu le comité pour la réunification pacifique de la Corée, un organisme gouvernemental nord-coréen.

12 septembre 2010

11 septembre : Comme quoi Napoléon n'a pas existé


Maintenant que le Monde se met diffuser les thèse négationnistes/complotistes sur le 11 septembre, et que passées les bornes il n'y a plus de limites, ne reculons pas : Napoléon non plus n'a pas existé (le Christ non plus d'ailleurs, ni Mahomet, ni Sheila et moins encore Sarkozy) .

Ce petit opuscule a été écrit par M.J-B. Pérès moins de dix ans après la mort de Napoléon 1er. Il était, dans la pensée de son auteur une réfutation du système de Dupuis. Ce dernier voyait dans l'histoire des dieux de la mythologie une expression allégorique du cours des astres, et appliquait son étrange théorie à l'histoire de Jésus Christ : pour lui, le Christ n'était que le soleil, et les douze apôtres les douze signes du zodiaque.

C'est pour réfuter cette prétendue explication, donnée par Dupuis en 12 volumes in-8°, que M. Pérès a imaginé l'ingénieuse plaisanterie que nous rééditons aujourd'hui : prendre les méthodes utilisées pour nier l'existence du Christ et les appliquer à un personnage bien connu de l'histoire moderne.

Comme quoi Napoléon n'a jamais existé [et le 11 septembre non plus]

Napoléon Bonaparte, dont on a dit et écrit tant de choses, n'a pas même existé. Ce n'est qu'un personnage allégorique. C'est le soleil personnifié ; et notre assertion sera prouvée si nous faisons voir que tout ce qu'on publie de Napoléon le Grand est emprunté du grand astre.
Voyons donc sommairement ce qu'on nous dit de cet homme merveilleux.
On nous dit:
· Qu'il s'appelait Napoléon Bonaparte ;
· Qu'il était né dans une île de la Méditerranée ;
· Que sa mère se nommait Letitia ;
· Qu'il avait trois sœurs et quatre frères, dont trois furent rois ;
· Qu'il eut deux femmes, dont une lui donna un fils ;
· Qu'il mit fin à une grande révolution ;
· Qu'il avait sous lui seize maréchaux de son empire, dont douze étaient en activité de service ;
· Qu'il triompha dans le Midi, et qu'il succomba dans le Nord ;
· Qu'enfin, après un règne de douze ans, qu'il avait commencé en venant de l'Orient, il s'en alla disparaître dans les mers occidentales.
Reste donc à savoir si ces différentes particularités sont empruntées du soleil, et nous espérons que quiconque lira cet écrit en sera convaincu.
1) Et d'abord, tout le monde sait que le soleil est nommé Apollon par les poètes ; or la différence entre Apollon et Napoléon n'est pas grande, et elle paraîtra encore bien moindre si l'on remonte à la signification de ces noms ou à leur origine.
Il est constant que le mot Apollon signifie exterminateur ; et il paraît que ce nom fut donné au soleil par les Grecs, à cause du mal qu'il leur fit devant Troie, où une partie de leur armée périt par les chaleurs excessives et par la contagion qui en résulta, lors de l'outrage fait par Agamemnon à Chrysès, prêtre du soleil, comme on le voit au commencement de l'Iliade d'Homère ; et la brillante imagination des poètes grecs transforma les rayons de l'astre en flèches enflammées que le dieu irrité lançait de toutes parts, et qui auraient tout exterminé si, pour apaiser sa colère, on n'eût rendu la liberté à Chryséis, fille du sacrificateur Chrysès.
C'est vraisemblablement alors et pour cette raison que le soleil fut nommé Apollon. Mais, quelle que soit la circonstance ou la cause qui a fait donner à cet astre un tel nom, il est certain qu'il veut dire exterminateur.
Or Apollon est le même mot qu'Apoléon. Ils dérivent de Apollyô, ou Apoleô deux verbes grecs qui n'en font qu'un, et qui signifient perdre, tuer, exterminer. De sorte que, si le prétendu héros de notre siècle s'appelait Apoléon, il aurait le même nom que le soleil, et il remplirait d'ailleurs toute la signification de ce nom ; car on nous le dépeint comme le plus grand exterminateur d'hommes qui ait jamais existé. Mais ce personnage est nommé Napoléon, et conséquemment il y a dans son nom une lettre initiale qui n'est pas dans le nom du soleil. Oui, il y a une lettre de plus, et même une syllabe ; car, suivant les inscriptions qu'on a gravées de toutes parts dans la capitale, le vrai nom de ce prétendu héros était Néapoléon ou Néapolion. C'est ce que l'on voit notamment sur la colonne de la place Vendôme.
Or, cette syllabe de plus n'y met aucune différence. Cette syllabe est grecque sans doute, comme le reste du nom, et, en grec, , ou nai est une des plus grande affirmations, que nous pouvons rendre par le mot véritablement. D'où il suit que Napoléon signifie : véritable exterminateur, véritable Apollon. C'est donc véritablement le soleil.
Mais que dire de son autre nom ? Quel rapport le mot Bonaparte peut-il avoir avec l'astre du jour ? On ne le voit point d'abord ; mais on comprend au moins que, comme bona parte signifie bonne partie, il s'agit sans doute là de quelque chose qui a deux parties , l'une bonne et l'autre mauvaise ; de quelque chose qui, en outre, se rapporte au soleil Napoléon. Or rien ne se rapporte plus directement au soleil que les effets de sa révolution diurne, et ces effets sont le jour et la nuit, la lumière et les ténèbres ; la lumière que sa présence produit, et les ténèbres qui prévalent dans son absence ; c'est une allégorie empruntée des Perses. C'est l'empire d'Oromaze et celui d'Arimane, l'empire de la lumière et celui des ténèbres, l'empire des bons et celui des mauvais génies. Et c'est à ces derniers, c'est aux génies du mal et des ténèbres que l'on dévouait autrefois par cette expression imprécatoire : Abi in malam partem. Et si par mala parte on entendait les ténèbres, nul doute que par bona parte on ne doive entendre la lumière ; c'est le jour, par opposition à la nuit. Ainsi on ne saurait douter que ce nom n'ait des rapports avec le soleil, surtout quand on le voit assorti avec Napoléon, qui est le soleil lui-même, comme nous venons de le prouver.
2) Apollon, suivant la mythologie grecque, était né dans une île de la Méditerranée (dans l'île de Délos) ; aussi a-t-on fait naître Napoléon dans une île de la Méditerranée, et de préférence on a choisi la Corse, parce que la situation de la Corse, relativement à la France, où on a voulu le faire régner, est la plus conforme à la situation de Délos relativement à la Grèce où Apollon avait ses temples principaux et ses oracles.
Pausanias, il est vrai donne à Apollon le titre de divinité égyptienne ; mais pour être divinité égyptienne, il n'était pas nécessaire qu'il fût né en Égypte ; il suffisait qu'il y fût regardé comme un dieu, et c'est ce que Pausanias a voulu nous dire ; il a voulu nous dire que les Égyptiens l'adoraient, et cela encore établit un rapport de plus entre Napoléon et le soleil, car on dit qu'en Égypte Napoléon fut regardé comme revêtu d'un caractère surnaturel, comme l'ami de Mahomet, et qu'il y reçut des hommages qui tenaient de l'adoration.
3) On prétend que sa mère se nommait Letitia. Mais sous le nom de Letitia, qui veut dire la joie, on a voulu désigner l'aurore, dont la lumière naissante répand la joie dans toute la nature ; l'aurore, qui enfante au monde le soleil, comme disent les poètes, en lui ouvrant, avec ses doigts de rose, les portes de l'Orient.
Encore est-il bien remarquable que, suivant la mythologie grecque, la mère d'Apollon s'appelait Leto, ou Lètô . Mais si de Leto les Romains firent Latone, mère d'Apollon, on a mieux aimé, dans notre siècle, en faire Letitia, parce que laetitia est le substantif du verbe laetor ou de l'inusité laeto, qui voulait dire inspirer la joie.
Il est donc certain que cette Letitia est prise, comme son fils, dans la mythologie grecque.
4) D'après ce qu'on en raconte, ce fils de Letitia avait trois sœurs, et il est indubitable que ces trois sœurs sont les trois Grâces, qui, avec les Muses, leurs compagnes, faisaient l'ornement et les charmes de la cour d'Apollon, leur frère.
5) On dit que ce moderne Apollon avait quatre frères. Or, ces quatre frères sont les quatre saisons de l'année, comme nous allons le prouver. Mais d'abord, qu'on ne s'effarouche point en voyant les saisons représentées par des hommes plutôt que par des femmes. Cela ne doit pas même paraître nouveau, car, en français, des quatre saisons de l'année, une seule est féminine, c'est l'automne ; et encore nos grammairiens sont peu d'accord à cet égard. Mais en latin autumnus n'est pas plus féminin que les trois autres saisons ; ainsi, point de difficulté là-dessus. Les quatre frères de Napoléon peuvent représenter les quatre saisons de l'année ; et ce qui suit va prouver qu'ils les représentent réellement.
Des quatre frères de Napoléon, trois, dit-on, furent rois ; et ces trois rois sont le Printemps, qui règne sur les fleurs ; l'Été, qui règne sur les moissons, et l'Automne, qui règne sur les fruits. Et comme ces trois saisons tiennent tout de la puissante influence du soleil, on nous dit que les trois frères de Napoléon tenaient de lui leur royauté et ne régnaient que par lui. Et quand on ajoute que, des quatre frères de Napoléon, il y en eut un qui ne fut point roi, c'est parce que, des quatre saisons de l'année, il en est une qui ne règne sur rien : c'est l'Hiver.
Mais si, pour infirmer notre parallèle, on prétendait que l'hiver n'est pas sans empire, et qu'on voulût lui attribuer la triste principauté des neiges et des frimas, qui, dans cette fâcheuse saison, blanchissent nos campagnes, notre réponse serait toute prête : c'est, dirions-nous, ce qu'on a voulu nous indiquer par la vaine et ridicule principauté dont on prétend que ce frère de Napoléon a été revêtu après la décadence de toute sa famille, principauté qu'on a attachée au village de Canino, de préférence à tout autre, parce que canino vient de cani, qui veut dire les cheveux blancs de la froide vieillesse, ce qui rappelle l'hiver. Car, aux yeux des poètes, les forêts qui couronnent nos coteaux en sont la chevelure, et quand l'hiver les couvre de ses frimas, ce sont les cheveux blancs de la nature défaillante, dans la vieillesse de l'année : Cum gelidus crescit canis in montivus humor.
Ainsi, le prétendu prince de Canino n'est que l'hiver personnifié ; l'hiver qui commence quand il ne reste plus rien des trois belles saisons, et que le soleil est dans le plus grand éloignement de nos contrées envahies par les fougueux enfants du Nord, nom que les poètes donnent aux vents qui, venant de ces contrées, décolorent nos campagnes et les couvrent d'une odieuse blancheur ; ce qui a fourni le sujet de la fabuleuse invasion des peuples du Nord dans la France, où ils auraient fait disparaître un drapeau de diverses couleurs, dont elle était embellie, pour y substituer un drapeau blanc qui l'aurait couverte tout entière, après l'éloignement du fabuleux Napoléon. Mais il serait inutile de répéter que ce n'est qu'un emblème des frimas que les vents du Nord nous apportent durant l'hiver, à la place des aimables couleurs que le soleil maintenait dans nos contrées, avant que par son déclin il se fût éloigné de nous ; toutes choses dont il est facile de voir l'analogie avec les fables ingénieuses que l'on a imaginées dans notre siècle.
6) Selon les mêmes fables, Napoléon eut deux femmes ; aussi en avait-on attribué deux au Soleil. Ces deux femmes du Soleil étaient la Lune et la Terre : la Lune, selon les Grecs (c'est Plutarque qui l'atteste), et la Terre, selon les Égyptiens ; avec cette différence bien remarquable que, de l'une (c'est-à-dire la Lune), le Soleil n'eut point de postérité, et que de l'autre il eut un fils, un fils unique ; c'est le petit Horus, fils d'Osiris et d'Isis, c'est-à-dire du Soleil et de la Terre, comme on le voit dans l'Histoire du Ciel, tome 1, page 61 et suivantes. C'est une allégorie égyptienne, dans laquelle le petit Horus, né de la Terre fécondée par le Soleil, représente les fruits de l'agriculture ; et précisément on a placé la naissance du prétendu fils de Napoléon au 20 mars, à l'équinoxe du printemps, parce que c'est au printemps que les productions de l'agriculture prennent leur grand développement.
7) On dit que Napoléon mit fin à un fléau dévastateur qui terrorisait toute la France, et qu'on nomma l'hydre de la Révolution. Or, une hydre est un serpent, et peu importe l'espèce, surtout quand il s'agit d'une fable. C'est le serpent Python, reptile énorme qui était pour la Grèce l'objet d'une extrême terreur, qu'Apollon dissipa en tuant ce monstre, ce qui fut son premier exploit ; et c'est pour cela qu'on nous dit que Napoléon commença son règne en étouffant la Révolution française, aussi chimérique que tout le reste ; car on voit bien que révolution est emprunté du mot latin revolutus, qui signale un serpent roulé sur lui-même. C'est Python, et rien de plus.
8) Le célèbre guerrier du XIXe siècle avait, dit-on douze maréchaux de son empire à la tête de ses armées, et quatre en non-activité. Or les douze premiers (comme bien entendu) sont les douze signes du zodiaque, marchant sous les ordres du soleil Napoléon, et commandant chacun une division de l'innombrable armée des étoiles, qui est appelée milice céleste dans la Bible, et se trouve partagée en douze parties, correspondant aux douze signes du zodiaque. Tels sont les douze maréchaux qui, suivant nos fabuleuses chroniques, étaient en activité de service sous l'empereur Napoléon ; et les quatre autres, vraisemblablement, sont les quatre points cardinaux qui, immobiles au milieu du mouvement général, sont fort bien représentés par la non-activité dont il s'agit.
Ainsi, tous ces maréchaux, tant actifs qu'inactifs, sont des êtres purement symboliques, qui n'ont pas eu plus de réalité que leur chef.
9) On nous dit que ce chef de tant de brillantes armées avait parcouru glorieusement les contrées du Midi, mais qu'ayant trop pénétré dans le Nord, il ne put s'y maintenir. Or, tout cela caractérise parfaitement la marche du soleil.
Le soleil, on le sait bien, domine en souverain dans le Midi, comme on le dit de l'empereur Napoléon. Mais ce qu'il y a de bien remarquable, c'est qu'après l'équinoxe du printemps le soleil cherche à gagner les régions septentrionales, en s'éloignant de l'équateur. Mais au bout de trois mois de marche vers ces contrées, il rencontre le tropique boréal qui le force à reculer et à revenir sur ses pas vers le Midi, en suivant le signe du Cancer, c'est-à-dire de l'Écrevisse, signe auquel on a donné ce nom (dit Macrobe) pour exprimer la marche rétrograde du soleil dans cet endroit de la sphère. Et c'est là-dessus qu'on a calqué l'imaginaire expédition de Napoléon vers le Nord, vers Moscow, et la retraite humiliante dont on dit qu'elle fut suivie.
Ainsi tout ce qu'on nous raconte des succès ou des revers de cet étrange guerrier, ne sont que des allusions relatives au cours du soleil.
10) Enfin, et ceci n'a besoin d'aucune explication, le soleil se lève à l'Orient et se couche à l'Occident, comme tout le monde le sait. Mais pour des spectateurs situés aux extrémités des terres, le soleil paraît sortir, le matin, des mers orientales, et se plonger, le soir, dans les mers occidentales. C'est ainsi, d'ailleurs, que tous les poètes nous dépeignent son lever et son coucher. Et c'est là tout ce que nous devons entendre quand on nous dit que Napoléon vint par mer de l'Orient (de l'Égypte) pour régner sur la France, et qu'il a été disparaître dans les mers occidentales, après un règne de douze ans, qui ne sont autre chose que les douze heures du jour, les douze heures pendant lesquelles le soleil brille sur l'horizon.
Il n'a régné qu'un jour, dit l'auteur des Nouvelles Messéniennes, en parlant de Napoléon ; et la manière dont il décrit son élévation, son déclin et sa chute, prouve que ce charmant poète n'a vu, comme nous, dans Napoléon, qu'une image du soleil ; et il n'est pas autre chose ; c'est prouvé par son nom, par le nom de sa mère, par ses trois sœurs, ses quatre frères, ses deux femmes, son fils, ses maréchaux et ses exploits ; c'est prouvé par le lieu de sa naissance, par la région d'où on nous dit qu'il vint, en entrant dans la carrière de sa domination, par le temps qu'il employa à la parcourir, par les contrées où il domina, par celles où il échoua, et par la région où il disparut, pâle et découronné, après sa brillante course, comme le dit le poète Casimir Delavigne.
Il est donc prouvé que le prétendu héros de notre siècle n'est qu'un personnage allégorique dont tous les attributs sont empruntés du soleil. Et par conséquent Napoléon Bonaparte, dont on a dit et écrit tant de choses, n'a pas même existé, et l'erreur où tant de gens ont donné tête baissée vient d'un quiproquo, c'est qu'ils ont pris la mythologie du XIXe siècle pour une histoire.
P.S. Nous aurions encore pu invoquer, à l'appui de notre thèse, un grand nombre d'ordonnances royales dont les dates certaines sont évidemment contradictoires au règne du prétendu Napoléon ; mais nous avons eu nos motifs pour n'en pas faire usage.
J-B. PÉRÈS.

17 juillet 2010

Les années noires

Mon père commença à me raconter ces histoires alors que j’avais quinze ans, d’abord de façon décousue, une suite d’histoires et d’anecdotes où se mélangeaient le tragique et le comique.

Il y a maintenant vingt ans, alors que mon père recommençait à me raconter, pour la énième fois, les mêmes récits ; je lui dis tout d’un coup : « Pourquoi tu n’écrirais pas tout cela ? Tu me racontes, c’est bien beau, mais je ne me souviendrai pas de tout, alors que si tu écris, il restera une trace. »

Bénéficiant d’une très bonne mémoire et d’un bon trait de plume, mon père se mit a écrire à la main sur un, puis deux, cahiers d’écolier cette chronique où les habitants du quartier de Bas Pian, hameau de Pian sur Garonne (Gironde), traversé par la route nationale Bordeaux–Toulouse, à proximité de la voie de chemin de fer Bordeaux–Marseille et en bordure de la Garonne, se trouvèrent brutalement pris entre deux zones, entre deux Frances.

Mon père est décédé le 22 novembre 2007. Jusqu’à la veille de sa mort, il a toujours raconté, avec lucidité et sans exagération, les anecdotes qui émaillèrent la vie des habitants de ce quartier pendant ces heures sombres.

Joël Baudet




ISBN:978-0-9790573-4-2

23 juin 2010

Quelques langues d'oïl et une langue germanique

Latin (Illa) claudit semper fenestram antequam cenat.
Aragonais Ella tranca siempre la finestra antes de cenar.
Asturien Ella pieslla siempre la ventana/feniestra primero de cenar.
Extreménien Ella afecha siempri la ventana endantis e recenal.
Bergamasque (Lé) la sèra sèmper sö la finèstra prima de senà.
Bourguignon-morvandiau All farme tôjor lai fenétre aivan de dîgnai.
Catalan Ella tanca sempre la finestra abans de sopar.
Corse Ella chjudi sempre u purtellu primma di cenà.
Espagnol Ella siempre cierra la ventana antes de cenar.
Français Elle ferme toujours la fenêtre avant de dîner.
Franc-comtois Lèe çhioûe toûedge lai f'nétre d'vaïnt loù dénaie.
Francoprovençal valaisan (Ye) hlou totin a fenetre deant que de cena.
Frioulan Jê e siare simpri la feneste prime di cenâ.
Galicien Ela pecha sempre a xanela antes de cear.
Italien (Lei) chiude sempre la finestra prima di cenare.
Léonais Eilla pecha siempres la ventana primeiru de cenare.
Milanais (Lee) la sara semper su la finestra primma de disnà.
Mirandais Eilha cerra siempre la bentana/jinela atrás de jantar.
Napolitain Chella sempre chiud' 'a fenesta prima 'e mangià.
Normand A froumae tréjous al crouésie devaunt del dînaer.
Occitan Barra totjorn la fenèstra abans de sopar.
Piémontais Chila a sara sèmper la fnestra dnans ëd fé sin-a.
Picard Al' ferme toudis ch'batinsse avant d'souper.
Portugais Ela fecha sempre a janela antes de jantar.
Romanesco (Quella) chiude sempre 'a finestra prima de magnà
Roumain Ea închide totdeauna fereastra înainte de cina.
Romanche Ella clauda/serra adina la fanestra avant ch'ella tschainia.
Sarde Issa serrat semper sa bentana antes de chenare.
Sicilien Idda chjùi sempri a finestra avànti ca pistìa.
Vénitien Ela la sera sempre la fenestra prima de cenar.
Wallon Ele sere todi li finiesse divant di soper.
Anglais She always closes the window before dinner.

Et je me demande bien pourquoi.

01 mai 2010

Cannibalisme en voyage, une nouvelle de Marc Twain

Je revenais dernièrement de visiter Saint-Louis, lorsqu'à la bifurcation de Terre-Haute (territoire d'Indiana), un homme de quarante à cinquante ans, à la physionomie sympathique, aux manières affables, monta dans mon compartiment et s'assit près de moi ; nous causâmes assez longtemps pour me permettre d'apprécier son intelligence et le charme de sa conversation. Lorsqu'au cours de notre entretien, il apprit que j'étais de Washington, il se hâta de me demander des « tuyaux » sur les hommes politiques, sur les affaires gouvernementales ; je m'aperçus d'ailleurs très vite qu'il était au courant de tous les détails, de tous les dessous politiques, et qu'il en savait très long sur les faits et gestes des sénateurs et des représentants des Chambres aux Assemblées législatives. A une des stations suivantes deux hommes s'arrêtèrent près de nous et l'un d'eux dit à l'autre : « Harris, si vous faites cela pour moi, je ne l'oublierai de ma vie. » Les yeux de mon nouveau compagnon de voyage brillèrent d'un singulier éclat ; à n'en pas douter, ces simples mots venaient d'évoquer chez lui quelque vieux souvenir. Ensuite son visage redevint calme, presque pensif. Il se tourna vers moi et me dit :

- Laissez-moi vous conter une histoire, vous dévoiler un chapitre secret de ma vie, une page que j'avais enterrée au fin fond de moi même. Ecoutez-moi patiemment, et ne m'interrompez pas.

Je promis de l'écouter ; il me raconta l'aventure suivante, avec des alternatives d'animation et de mélancolie, mais toujours avec beaucoup de persuasion et un grand sérieux.

Récit de cet étranger :

« Le 19 décembre 1853, je quittai Saint-Louis par le train du soir qui va à Chicago. Tous compris, nous n'étions que vingt-quatre voyageurs hommes ; ni femmes ni enfants ; nous fîmes vite connaissance et comme nous paraissions tous de bonne humeur, une certaine intimité ne tarda pas à s'établir entre nous.

« Le voyage s'annonçait bien ; et pas un d'entre nous ne pouvait pressentir les horribles instants que nous devions bientôt traverser.

« A 11 heures, il neigeait ferme. Peu après avoir quitté le village de Welden, nous entrâmes dans les interminables prairies désertes qui s'étendent horriblement monotones pendant des lieues et des lieues ; le vent soufflait avec violence, car il ne rencontrait aucun obstacle sur sa route, ni arbres, ni collines, ni même un rocher isolé ; il chassait devant lui la neige qui tombait en rafales et formait sous nos yeux un tapis épais. Elle tombait dru, cette neige, et le ralentissement du train nous indiquait assez que la locomotive avait peine à lutter contre la résistance croissante des éléments. Le train stoppa plusieurs fois et nous vîmes au-dessus de nos têtes un double rempart de neige aveuglant de blancheur, triste comme un mur de prison.

« Les conversations cessèrent ; la gaieté fit place à l'angoisse ; la perspective d'être murés par la neige au milieu de la prairie déserte, à cinquante lieues de toute habitation, se dressait comme un spectre devant chacun de nous et jetait une note de tristesse sur notre bande tout à l'heure si joyeuse.

« A deux heures du matin, je fus tiré de mon sommeil agité par un arrêt brusque. L'horrible vérité m'apparut dans toute sa nudité hideuse : nous étions bloqués par la neige. « Tous les bras à la rescousse » ! On se hâta d'obéir. Chacun redoubla d'efforts sous la nuit noire et la tourmente de neige, parfaitement convaincu qu'une minute perdue pouvait causer notre mort à tous. Pelles, planches, mains, tout ce qui pouvait déplacer la neige fut réquisitionné en un instant.

« Quel étrange spectacle de voir ces hommes lutter contre les neiges amoncelées, et travailler d'arrache-pied, les uns plongés dans une obscurité profonde, les autres éclairés par la lueur rougeâtre du réflecteur de la machine !

« Au bout d'une heure, nous étions fixés sur l'inutilité complète de nos efforts ; car la tempête remplissait en rafales les tranchées que nous avions pratiquées. Pour comble de malheur, on découvrit que les bielles de la locomotive s'étaient brisées sous la résistance du poids à déplacer. La route, eût-elle été libre, devenait impraticable pour nous !!

« Nous remontâmes dans le train, fatigués, mornes et découragés ; nous nous réunîmes autour des poêles pour examiner l'état de notre situation. Nous n'avions pas de provisions de bouche ; c'était là le plus clair de notre désastre ! Largement approvisionnés de bois, nous ne risquions pas de mourir de froid. C'était déjà une consolation.

« Après une longue délibération, nous reconnûmes que le conducteur du train disait vrai : en effet quiconque se serait risqué à parcourir à pied les cinquante lieues qui nous séparaient du village le plus rapproché aurait certainement trouvé la mort. Impossible de demander du secours, et l'eussions-nous demandé, personne ne serait venu à nous. Il nous fallait donc nous résigner et attendre patiemment du secours ou la mort par la faim ; je puis certifier que cette triste perspective suffisait à ébranler le cœur le plus stoïque.

« Notre conversation, pourtant bruyante, produisait l'illusion d'un murmure vague, qu'on distinguait à peine au milieu des rafales de vent ; la clarté des lampes diminua peu à peu, et la plus grande partie des « naufragés » se turent, les uns pour réfléchir, les autres pour chercher dans le sommeil l'oubli de leur situation tragique.

« Cette nuit nous parut éternelle ; l'aurore glacée et grise commença à poindre à l'est ; à mesure que le jour grandissait, les voyageurs se réveillèrent et se donnèrent du mouvement pour essayer de se réchauffer ; l'un après l'autre, ils étirèrent leurs membres raidis par le sommeil, et regardèrent par les fenêtres le spectacle horrible qui s'offrait à leurs yeux. Horrible ! il l'était en effet, ce spectacle. Pas une habitation ! pas un atome vivant autour de nous ! partout le désert, blanc comme un linceul ; la neige, fouettée en tous sens par le vent, tourbillonnait en flocons dans l'espace.

« Nous errâmes toute la journée dans les wagons, parlant peu, absorbés dans nos pensées ; puis vint une seconde nuit, longue, monotone, pendant laquelle la faim commença à se faire sentir.

« Le jour reparut ; silencieux et triste, nous faisions le guet, attendant un secours qui ne pouvait pas venir ; une autre nuit lui succéda, agitée de rêves fantastiques pendant lesquels des festins somptueux et les fêtes bachiques défilaient sous nos yeux ! Le réveil n'en fut que plus pénible ! Le quatrième et le cinquième jour parurent ! Cinq jours de véritable captivité ! La faim se lisait sur tous les visages déprimés qui accusaient l'obsession d'une même idée fixe, d'une pensée à laquelle nul n'osait ni ne voulait s'arrêter. Le sixième jour s'écoula, et le septième se leva sur notre petite troupe haletante, terrifiée à l'idée de la mort qui nous guettait. Il fallait pourtant en finir et parler. Les lèvres de chacun étaient prêtes à s'entrouvrir pour exprimer les sombres pensées qui venaient de germer dans nos cerveaux. La nature, trop longtemps comprimée, demandait sa revanche et faisait entendre un appel impérieux !

« Richard H. Gaston, de Minnesota, grand, d'une pâleur de spectre, se leva. Nous savions ce qui allait sortir de sa bouche ; un grand calme, une attention recueillie avaient remplacé l'émotion, l'excitation factice des jours précédents.

« - Messieurs, il est impossible d'attendre davantage ! L'heure a sonné. Il nous faut décider lequel d'entre nous mourra pour servir de nourriture aux autres.

« M. John J. Williams, de l'Illinois, se leva à son tour : - Messieurs, dit-il, je propose pour le sacrifice le Révérend James Sawyer de Tennessee.

« - Je propose M. Daniel Hote de New York, répondit M. W. R. Adams, d'Indiana.

« M. Charles Langdon : - Que diriez-vous de M. Samuel Bowen de Saint-Louis ?

« - Messieurs, interrompit M. Hote, j'opine plutôt en faveur du jeune John A. Van Nostrand, de New Jersey.

« H. Gaston : - S'il n'y a pas d'objection, on accèdera au désir de M. Hote.

« M. Van Nostrand ayant protesté, la proposition de M. Hote fut repoussée, celles de MM. Sawyer et Bowen ne furent pas acceptées davantage.

« M. A.-L. Bascom, de l'Ohio, se leva : - Je suis d'avis de clore la liste des candidatures et de laisser l'Assemblée procéder aux élections par vote.

« M. Sawyer : - Messieurs, je proteste énergiquement contre ces procédés irréguliers et inacceptables. Je propose d'y renoncer immédiatement, et de choisir un président à l'Assemblée ; nous pourrons ensuite poursuivre notre œuvre sans violer les principes immuables de l'équité.

« M. Bell, de Iowa : - Messieurs, je proteste ; ce n'est pas le moment de s'arrêter à des formalités absurdes. Voilà huit jours que nous ne mangeons pas ; et chaque minute perdue en discussions vaines rend notre situation plus critique. Les propositions précédentes me satisfont entièrement (ces messieurs en pensent autant, je crois) ; pour ma part, je ne vois donc pas pourquoi nous ne nous arrêterions pas à l'une d'elles, il faut en finir au plus vite.

« M. Gaston : - De toutes façons, l'élection nous demanderait au moins vingt-quatre heures, et c'est justement ce retard que nous voulons éviter. Le citoyen de New Jersey...

« M. Van Nostrand : - Messieurs, je suis un étranger parmi vous ; je n'ai donc aucun droit à l'honneur que vous me faites, et j'éprouve une certaine gêne à...

« M. Morgan d'Alabama, l'interrompant : - Je demande que la question soit soumise au vote général. Ainsi fut fait, et le débat prit fin, bien entendu. Un conseil fut constitué, M. Gaston nommé président, M. Blake secrétaire, MM. Holcomb, Baldwin et Dyer firent partie de « la Commission des candidatures » ; M. R-M. Howland, en sa qualité de pourvoyeur, aida la Commission à faire son choix. « La Commission s'accorda un repos d'une demi-heure avant de procéder à ses grands travaux. L'Assemblée se réunit, et le comité porta son choix sur quelques candidats : MM. George Ferguson, de Kentucky, Lucien Herrman, de la Louisiane, et W. Messick, du Colorado. Ce choix fut ratifié.

« M. Rogers, de Missouri, se leva : - Monsieur le Président, les décisions ayant été prises maintenant selon les règles, je propose l'amendement suivant, en vue de substituer au nom de M. Herrman celui de M. Lucius Harris, de Saint-Louis, qui est honorablement connu de tous ici. Je ne voudrais en quoi que ce soit amoindrir les grandes qualités de ce citoyen de la Louisiane, loin de là. J'ai pour lui toute l'estime et la considération que méritent ses vertus. Mais il ne peut échapper à personne d'entre nous que ce candidat a maigri étonnamment depuis le début de notre séjour ici. Cette considération me porte à affirmer que le comité s'est fourvoyé en proposant à nos suffrages un candidat dont la valeur morale est incontestable, mais dont les qualités nutritives sont...

« Le Président : - Le citoyen du Missouri est prié de s'asseoir ; le Président ne peut admettre que les décisions du comité soient critiquées sans suivre la voie régulière.

« Quel accueil fera l'Assemblée à la proposition de ce citoyen ?

« M. Halliday, de Virginie : - Je propose un second amendement visant la substitution de M. Harvey Davis, de l'Orégon, à M. Messick. Vous estimerez sans doute avec moi que les labeurs et les privations de la vie de frontière ont dû rendre M. Davis quelque peu coriace ; mais, Messieurs, pouvons-nous, à un moment aussi tragique, ergoter sur la qualité de la chair humaine ? Pouvons-nous discuter sur des pointes d'aiguilles ? Avons-nous le droit de nous arrêter à des considérations sans importance ? Non, Messieurs ; la corpulence, voilà tout ce que nous demandons ; l'embonpoint, le poids sont à nos yeux les principales qualités requises : le talent, le génie, la bonne éducation, tout cela nous est indifférent. J'attire votre attention sur le sens de mon amendement.

« M. Morgan (très agité) : - Monsieur le Président, en principe, je suis pour ma part absolument opposé à cet amendement. Le citoyen de l'Orégon est vieux ; de plus, il est fortement charpenté, et très peu dodu. Que ces Messieurs me disent s'ils préfèrent le pot-au-feu à une alimentation substantielle ? et ils se contenteraient de « ce spectre de l'Orégon » pour assouvir leur faim ? Je demande à M. Halliday, de Virginie, si la vue de nos visages décavés, de nos yeux hagards ne lui fait pas horreur ; s'il aura le courage d'assister plus longtemps à notre supplice en prolongeant la famine qui déchire nos entrailles et en nous offrant le paquet d'os que représente le citoyen en question ? Je lui demande s'il réfléchit à notre triste situation, à nos angoisses passées, à notre avenir effroyable ; va-t-il persister à nous jeter en pâture cette ruine, cette épave, ce vagabond misérable et desséché, des rives inhospitalières de l'Orégon ? Non ! il ne l'osera pas ! (Applaudissements.)

« La proposition fut mise aux voix et repoussée après une discussion violente. M. Harris restait désigné, en conformité du premier amendement. Le scrutin fut ouvert. Il y eut cinq tours sans résultat. Au sixième, M. Harris fut élu, tous les votes, sauf le sien, s'étant portés sur son nom. Il fut alors proposé que ce scrutin serait ratifié par un vote unanime à mains levées ; mais l'unanimité ne put être obtenue, M. Harris votant encore contre lui-même.

« M. Radiway proposa alors que l'assemblée fit son choix parmi les derniers candidats, et que l'élection eût lieu sans faute pour le déjeuner. Cette proposition fut acceptée.

« Au premier tour, il y eut scission : les uns penchaient en faveur d'un candidat réputé très jeune ; les autres lui préféraient un autre homme de belle stature. Le vote du président fit incliner la balance du côté du dernier, M. Messick ; mais cette solution déplut fortement aux partisans de M. Ferguson, le candidat battu ; on songea même un instant à demander un nouveau tour de scrutin ; bref, tous décidèrent d'ajourner la solution, et la séance fut levée de suite.

« Les préparatifs du repas détournèrent l'attention du parti Ferguson et au moment où le fil de la discussion allait reprendre, on annonça en grande pompe que M. Harris était servi. Cette nouvelle produisit un soulagement général.

« Les tables furent improvisées avec les dossiers de fauteuils des compartiments, et nous nous assîmes, la joie au cœur, en pensant à ce régal après lequel nous soupirions depuis une grande semaine. En quelques instants, nous avions pris une tout autre physionomie. Tout à l'heure le désespoir, la misère, la faim, l'angoisse fiévreuse, étaient peints sur nos visages ; maintenant une sérénité, une joie indescriptible régnaient parmi nous ; nous débordions de bonheur. J'avoue même sans fausse honte que cette heure de soulagement a été le plus beau moment de ma vie d'aventures.

« Le vent hurlait au dehors et fouettait la neige autour de notre prison, mais nous n'en avions plus peur maintenant.

« J'ai assez aimé Harris. Il aurait pu être mieux cuit, sans doute, mais en toute justice, je dois reconnaître qu'aucun homme ne m'agréa jamais autant que Harris et ne me procura autant de satisfaction. Messick ne fut pas précisément mauvais, bien qu'un peu trop haut en goût ; mais pour la saveur et la délicatesse de la chair, parlez-moi de Harris.

« Messick avait certainement des qualités que je ne lui contesterai pas, mais il ne convenait pas plus pour un petit déjeuner qu'une momie (ceci soit dit sans vouloir l'offenser). Quelle maigreur !! mon Dieu ! et dur !! Ah ! vous ne vous imaginerez jamais à quel point il était coriace ! Non jamais, jamais ! »

- Me donnez-vous à entendre que réellement vous... ?

- Ne m'interrompez pas, je vous en prie.

« Après ce frugal déjeuner, il fallait songer au dîner ; nous portâmes notre choix sur un nommé Walker, originaire de Détroit. Il était excellent ; je l'ai d'ailleurs écrit à sa femme un peu plus tard. Ce Walker ! je ne l'oublierai de ma vie ! Quel délicieux morceau ! Un peu maigre, mais succulent malgré cela. Le lendemain, nous nous offrîmes Morgan de l'Alabama pour déjeuner. C'était un des plus beaux hommes que j'aie jamais vus, bien tourné, élégant, distingué de manières ; il parlait couramment plusieurs langues ; bref un garçon accompli, qui nous a fourni un jus plein de saveur. Pour le dîner, on nous prépara ce vieux patriarche de l'Orégon. Là, nous reçûmes un superbe « coup de fusil » ; - vieux, desséché, coriace, il fut impossible à manger. Quelle navrante surprise pour tous ! A tel point que je finis par déclarer à mes compagnons : - Messieurs, faites ce que bon vous semble ; moi, je préfère jeûner en attendant meilleure chère.

« Grimes, de l'Illinois, ajouta : - Messieurs, j'attends, moi aussi. Lorsque vous aurez choisi un candidat qui soit à peu près « dégustable », je serai enchanté de m'asseoir à votre table.

« Il devint évident que le choix de l'homme de l'Orégon avait provoqué le mécontentement général. Il fallait à tout prix ne pas rester sur cette mauvaise impression, surtout après le bon souvenir que nous avait laissé Harris. Le choix se porta donc sur Baker, de Géorgie.

« Un fameux morceau celui-là ! Ensuite, nous nous offrîmes Doolittle, Hawkins, Mac Elroy, - ce dernier, trop petit et maigre, nous valut quelques protestations. Après, défilèrent Penrol, les deux Smiths et Bailey ; ce dernier avec sa jambe de bois nous donna du déchet, mais la qualité était irréprochable ; ensuite un jeune Indien, un joueur d'orgue de Barbarie, un nommé Bukminster, - pauvre diable de vagabond, décharné ; il était vraiment indigne de figurer à notre table.

« Comme consolation d'une si maigre pitance, nous pouvons nous dire que ce mauvais déjeuner a précédé de peu notre délivrance. »

- L'heure de la délivrance sonna donc enfin pour vous ?

- Oui, un beau matin, par un beau soleil, au moment où nous venions d'inscrire John Murphy sur notre menu. Je vous assure que ce John Murphy devait être un « morceau de roi » ; j'en mettrais ma main au feu. Le destin voulut que John Murphy s'en retournât avec nous dans le train qui vint à notre secours. Quelque temps après il épousa la veuve de Harris !!...

- La victime de... ?

- La victime de notre première élection. Il l'a épousée, et maintenant il est très heureux, très considéré et a une excellente situation. Ah ! cette histoire est un vrai roman, je vous assure ! Mais me voici arrivé, monsieur, il faut que je vous quitte. N'oubliez pas, lorsque vous aurez quelques instants à perdre, qu'une visite de vous me fera toujours le plus grand plaisir. J'éprouve pour vous une réelle sympathie, je dirai même plus, une sincère affection. Il me semble que je finirais par vous aimer autant que Harris. Adieu monsieur, et bon voyage. »

Il descendit ; je restai là, médusé, abasourdi, presque soulagé de son départ. Malgré son affabilité, j'éprouvais un certain frisson en sentant se poser sur moi son regard affamé. Aussi, lorsque j'appris qu'il m'avait voué une affection sincère, et qu'il me mettait dans son estime sur le même pied que feu Harris, mon sang se glaça dans mes veines ! J'étais littéralement transi de peur. Je ne pouvais douter de sa véracité ; d'autre part il eût été parfaitement déplacé d'interrompre par une question inopportune un récit aussi dramatique, présenté sous les auspices de la plus grande sincérité. Malgré moi, ces horribles détails me poursuivaient et hantaient mon esprit de mille idées confuses. Je vis que le conducteur m'observait ; je lui demandai : Qui est cet homme ?

J'appris qu'il faisait autrefois partie du Congrès et qu'il était un très brave homme. Un beau jour, pris dans une tourmente de neige et à deux doigts de mourir de faim, il a été tellement ébranlé par le froid et révolutionné, que deux ou trois mois après cet incident, il devenait complètement fou. Il va bien maintenant, paraît-il, mais la monomanie le tient et lorsqu'il enfourche son vieux « dada », il ne s'arrête qu'après avoir dévoré en pensée tous ses camarades de voyage. Tous y auraient certainement passé, s'il n'avait dû descendre à cette station ; il sait leurs noms sur le bout de ses doigts. Quand il a fini de les manger tous, il ne manque pas d'ajouter : « L'heure du déjeuner étant arrivée, comme il n'y avait plus d'autres candidats, on me choisit. Elu à l'unanimité pour le déjeuner, je me résignai. Et me voilà. »

C'est égal ! j'éprouvai un fameux soulagement en apprenant que je venais d'entendre les élucubrations folles d'un malheureux déséquilibré et non le récit des prouesses d'un cannibale avide de sang.

26 avril 2010

/*Rencontre avec la poétesse et slameuse Marie Ginet alias Ange Gabriel.e */

*à la librairie la Colombe d'Argent, 33 rue des Bouchers *
*le mardi 4 mai 2010 à 19 heures*
à l'occasion de la sortie de son livre album *"Souffles nomades"*
publié aux éditions de l'Agitée
"Souffles nomades "paru aux édition de l'Agitée
Et bien entendu des lectures et des slams en direct vous seront proposés en direct
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*En savoir plus en 6 minutes ? Cliquez sur le titre du post et écoutez "Les voix du slam"
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*Souffles nomades** Livre/CD *paru en 2010 aux éditions de l'Agitée *( 15 euros)
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*Préface de Jean Pierre Siméon poète dramaturge et directeur du printemps des poètes Extrait :*/
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*/" Marie Ginet se réclame du Slam, et c’est tant mieux. Car elle
est de celles et de ceux qui donnent au Slam une légitimité
littéraire (…) Sa langue est drue, elle a du souffle oui, mais sait
aussi dans l’apnée soudaine ménager sa part de silence. Souvent,
elle parle droit, hâtive, pressée d’interpeller mais elle nourrit sa
parole d’images fortes et intenses" (J P Siméon)

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*Un recueil de textes poétiques *de 96 pages qui comporte cinq cahiers

*Torse nu*/ /explore les territoires de l'enfance : serments,
grenouilles, ténèbres et cerisier

*Marne Lente*/* */parle d'alcool, d'exil, d'aubépines en fleurs et
de fous

S*ouffle nomade* évoque la question des Roms, du nomadisme, des
frontières et de l'autre.

*Présages* pose des questions éternelles (mort ? amour ? foi ?) et
fait danser les noms de bières

*Ciels d'errance *chante l'amour, le Nord, le féminisme et conjugue
la résistance au présent

* Un album de slam*

Il regroupe 8 titres *mis en onde et en musique *par *Patrice Thioloy* et *slamé *par leur auteure

Chaque morceau propose une coloration particulière tant dans le propos que dans l'interprétation et la mise en ondes « Je cherche une flamme » à cappella. « On se réveille un jour » en duo avec le talentueux beat-boxer Gaspard Herblot, « Trottoir qui rêvent » en duo avec le slameur Julien Delmaire,etc. Enfin l'album s'achève en chanson avec « Mystic Laïque »


LIBRAIRIE – SALON DE THE
LA COLOMBE D ’ARGENT
34, RUE DES BOUCHERS
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TEL : 03.20.30.11.77
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