29 juillet 1992

East Elk Creek Campground

Ce matin, réveil très matinal à Buena Vista, dans le vaste camping-ranch, avec gueule de bois injustifiée, mal de crâne, sentiment d’oppression. Le jet lag n’est pas encore assimilé. Renseignement pris, ce camping est à plus de 2 500 mètres d’altitude. Pas étonnant que les nuits soient fraîches. Vers 7 heures, Françoise se réveille, elle aussi bien tôt. J’entretiens un feu de bois pour faire bouillir l’eau du café, cela me permet aussi de me réchauffer moi-même.
La tente repliée, les sacs refaits, on fourre le tout dans le coffre et on the road again. Une halte dans une station Texaco permet de faire le plein de carburant, du super-unleaded ($13 pour 9 gallons, soit 1,80 F le litre). Les premiers paysages semblent comme dessinés par des enfants : les montagnes sont des triangles posés à l’horizon sur des plaines plates, les couleurs sont franches, paysage bleu, blanc, vert.
Nous prenons la 50W pour quelques miles seulement et puis, sous le prétexte de découvrir des sources chaudes — hot springs — que nous ne trouverons pas, nous nous engageons dans la montagne, sur une piste damée. Le paysage se complique, la piste vient longer des canyons qu’on aperçoit au dernier moment, juste au bord. Une heure, peut-être, de conduite en première et deuxième pour arriver à St Elmo, restes d’un village construit autour d’une mine de fer. Village fantôme, maintenant, au fond d’une route en cul de sac (dead end), quelques baraques à demi en ruine et de rares habitants, improbables esthètes, qui retapent ce qui leur semble récupérable. Les vrais résidants semblent plutôt les chipmunks — variété locale de petits rongeurs passablement agités et impertinents — et les colibris. La chaleur est lourde, étouffante, éprouvante et ma gueule de bois ne me laisse pas de répit — nous sommes arrivés, mine de rien, sans beaucoup de transition, à plus de 3 500 m. Pour la descente Françoise conduit, je me laisse aller, mais ce n’est pas la situation qui nous convient le mieux (qui me convient le mieux ?).
Nous retrouvons la 50, vers l’ouest. Après avoir passé Monarch Pass (11 312 feet soit 3 448 m), point de séparation des eaux atlantiques et pacifiques, après être redescendu une nouvelle fois de 1 000 ou 1 500 mètres, nous prenons un repas dans une auberge, à Sargents, village composé en tout et pour tout d’une station service et d’un snack.
This town ain’t big enough to have a town drunk, so we all take turns. Sargents CO.
Une jeune femme en jean et chapeau western entre avec sa fille de quatorze ans, s’assied au bar et discute un moment devant un verre. Quand elle repart au volant d’un pick up chargé de foin il est difficile de ne pas l’imaginer soixante dix ans plus tôt, lancer un attelage d’un sec coup de fouet.
Cheeseburger pour $ 2.70, un excellent repas complet avec viande, pain, fromage et plein de vraies crudités. Le décor est western à souhait, mais nous sommes trop épuisés pour engager une conversation qui aurait pu être intéressante. On the road… Le paysage change, se désertifie. Premiers reliefs stratifiés après la montagne alpestre. La sécheresse s’impose progressivement. Nous faisons quelques courses à Gunnison, en courant de la voiture au supermarché Safeway dans une brutale tempête de poussière.
SAFEWAY 641-0787
GUNNISON, COLORADO
07/29 3:34 PM STORE 617
CUST 174 REG 4 OPR 406
CHEDDARWURST 2.13*
VARIETY 1.99 TX
BOTTLED WATR .99*
SCOJR SPONGE 1.09 TX
PAPER PLATES 1.99 TX
JUICE 2.99*
JUICE 2.99*
1,58 LB @ 1/.99
APPLE GRANNY 1.06*
GILLETTE CARD 3.69 TX
TH MUSTARD .90*
HOMO MILK .89*
KR BBQ SAUCE 1.57*
MT HIGH .65*
1.62 L8 @ 1/.59
PEACHES .96*
.42 L8 @ 1/.69
WHITE ONIONS .29*
.13 L8 @ 1/2. 49
GARLIC BULK .32*
TOTAL $ 23.82
CASH TEND 30.00
SUBTOTAL 24.08
TAX PAID 1.24
4.18 CHANGE
PICNIC TIME TRY OUR DELI
Le temps se dégrade, tourne à l’orage. Bientôt nous nous mettons en quête d’un camping, peut-être même un motel, tant la météo semble peu favorable. Des décors formidables de stratifications, des tours, des falaises déchiquetées nous impressionnent et nous fascinent. Seul un lac de retenue, Blue Mesa, long de plusieurs kilomètres, apporte une note de fraîcheur dans ce désert à l’aridité croissante.
Le paysage est sauvage, presque inhumain. Seule trace de civilisation, quelques hors bords, lointains, minuscules, naviguent sur ce lac gigantesque.
Nous quittons l’US50 vers 4:00 pm pour suivre une piste sur une vingtaine de miles. Nous passons devant une ferme bric à brac, commerce de fromages et de machines agricoles, snack, station essence, pit-bulls inquiétants.
Puis nous arrivons où j’écris ce soir : un immense cirque, bordé de falaises déchiquetées au nord, de falaises brusques dans mon dos, à l’ouest, de collines douces face à moi, à l’est, et ouvert vers les hautes chaînes du Colorado au sud, sur des dizaines de miles. Au fond, un bras de Blue Mesa, le lac de retenue.
Ce lieu est peuplé de cinq campements comme le nôtre. East Elk Creek Campground : camping d’Etat rudimentaire, avec pour chacun une table de bois brut, un BBQ et des centaines de mètres carrés ($7 à placer dans une enveloppe et à glisser dans un tronc). La tente à peine montée, éclate un gros orage : elle se plie sous le vent, se couche mais ne perce pas ni ne s’arrache.
Le soir, une famille vient pêcher. L’homme sort méthodiquement un attirail sophistiqué et finit par quitter le bord du lac en combinaison, flottant grâce à une bouée-boudin. Ses enfants piaillent joyeusement.
Plus tard, le vent tombe, il est 8:30 pm, la nuit est bientôt noire. Je trouve ici, dans le silence total, avec les chipmunks qui me filent sous les pieds lorsque je m’aventure dans les buissons d’armoise, la sensation éprouvée lors d’un tour de Bretagne en bateau, avec Captain Guy, quand nous pratiquions le mouillage forain, dans des criques isolées, là où la terre finit. D’où tout à l’heure un lapsus : naviguer au lieu de conduire.
Mais les hurlements des coyotes ne laissent pas de doute : nous sommes bien dans le Colorado, pas dans la mer d’Iroise.
Il n’avait entendu des cris de coyote qu’une seule fois, lorsque le docteur et lui avaient été pêcher dans le Yellow Dog, une rivière de la péninsule septentrionale, et il avait trouvé que leur plainte était un son merveilleux, presque aussi beau que le cri des grèbes, un cri si pur et si désespéré qu’il semblait venir d’une autre planète.

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