28 juillet 1992

Peut-être l’Amtrak

Denver. Colorado Springs vers 12:00 puis la 24W jusqu’à ce camping du bout du monde. Colorado Springs, ex-ville olympique d’hiver, rues larges, immeubles magnifiques. Tous les gens que nous rencontrons sont aimables, ils font visiblement des efforts de langage (la vieille dame du Tourist information, la jeune femme de la banque). Parfois nous avons un anglais passable, parfois il s’évapore.
Le long de la route 24W, les villes touristiques se suivent et se ressemblent. A Manitou, les Utes sont devenus des prétextes publicitaires, les maisons singent les huttes en torchis.
Puis, progressivement, le désert s’installe, l’habitat se disperse, se fait rare. Nous progressons dans la montagne, parfois nous traversons un village, un groupe de quelques maisons pauvres.
Puis je partis pour (…) le grand bond dans les profondeurs de l’Amérique, le rêve de terres sauvages de tous les poètes et de tous les chefs scouts, vers l’ouest, vers notre destinée manifeste, vers les arbres rouges souverains et les sables peints, vers les collines transfigurées par l’or, vers l’ouest pour assortir les ombres de mon visage et de mon être.
La route continue à grimper jusqu’à ce que, d’un col, nous surplombions une immense plaine alluviale, visible jusqu’à l’infini de l’horizon. Il faudra une heure pour la traverser sur une route parfaitement rectiligne. En attendant, tout près du col, une cabane est occupée par un ranger. Il parle français comme nous parlons anglais. Il est une sorte d’éducateur à l’environnement. Sa mission consiste à informer les passants sur la flore, la faune, l’écosystème de la forêt. Il connaît son affaire, se passionne, nous entraîne hors de sa permanence pour nous montrer des aspens (trembles) et des pins douglas. Nous parlons de notre passion pour les arbres et il nous donne un poster pour que nous puissions reconnaître les essences américaines. Nous parlons aussi un peu littérature pour expliquer pourquoi nous allons vers Mesa Verde.

*

Dans le campement de Buena Vista, quelques campings-cars et des tentes sont éparpillés sur un flanc de colline. Le feu de bois dans mon dos chauffe la casserole de sauce mexicaine qui accompagnera tout à l’heure les saucisses de dinde, quand les braises seront prêtes. La douceur est incroyable, ce moment précis représente la transition entre la chaleur accablante de la journée (merci à l’industrie américaine qui ne conçoit pas une voiture sans l’équiper d’un appareil fournissant de l’air conditionné) et la fraîcheur, je suppose, à venir — nous sommes peut-être à 2 000 mètres d’altitude.
Nous nous coucherons avec le soleil, entre 8 et 9. Il n’y a bien sûr aucun éclairage. On ressent sans médiation la puissance de la nature, on se prend à penser à la ruée vers l’ouest, à ces rivières dans lesquelles il y avait de l’or. Toute la littérature de jeunesse revient, nous fait signe : Davy Crocket, le lieutenant Blueberry. Yaaouhaaah !
Plus loin dans la vallée passe une ligne de chemin de fer — peut-être l’Amtrak. Plusieurs trains traverseront lentement la nuit, étirant leurs longs sifflements d’est en ouest.

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