16 février 2008

Women in Film



"Je descendais machinalement la rue de Berghezeele, dans le Vieux Quartier. Ma vie d’acrobate amoureux m’occupait l’esprit. Cette année-là, je pratiquais une forme complexe de polygamie. Camille, Mélanie, Fabienne, Marie, Nadine et les autres s’organisaient en plusieurs cercles qui auraient fait la joie d’un anthropologue structuraliste. Dans le premier, se trouvaient les femmes avec lesquelles je partageais une forme plus ou moins soutenue de vie quotidienne alternée. Un appartement dans le centre ville, une forme de vie presque bourgeoise avec Camille. Un squat dans le Vieux Quartier, avec Mélanie, une vie de bâton de chaise. Le deuxième cercle était occupé par des amies de cœur et de corps, avec lesquelles divers projets étaient possibles : partager des lectures, une sieste, de courts voyages… Mais elles avaient leurs propres engagements. Un troisième cercle pour des relations plus sporadiques, immédiates, sans lendemain. La vraie difficulté était de passer d’un niveau de relation à l’autre, de toujours savoir avec qui on se trouvait, et pour quoi faire.
Je ne dis pas que toutes trouvaient ce mode de vie agréable et facile. Il y avait souvent des mouvements passionnels et sans doute qui aimait vraiment souffrait.
Il m’arrivait de me réveiller dans le lit de Camille, de passer l’après-midi avec Béatrice, la soirée avec Marie et d’aller dormir avec Mélanie. Je trouvais cela exaltant. Je pratiquais des études esthétiques et ésotériques et allais jusqu’à répéter avec telle les gestes amoureux qui m’avaient ému avec telle autre. Mon sens de la beauté se nourrissait de la courbe de leurs dos, du mouvement de leurs seins et des sourires qu’elles m’offraient. Toutes ces femmes se rassemblaient en un archétype que je poursuivais, éperdu d’admiration, en ses incarnations multiples et infinies. J’adorais jouer avec les contrastes et passer des bras d’une blonde aux longs cheveux bouclés à ceux d’une brune mince et souple. Tout changeait, la couleur de la peau, son grain, l’une était chatte, l’autre tigresse, toutes deux félines et, derrière ces dissonances et ces accords, je retrouvais toujours le même mystère qui me fascinait. Il m’arrivait de penser avec désespoir que la planète comptait probablement plus d’un milliard de femmes de 17 à 40 ans et je pleurais en voyant bien l’impossibilité dans laquelle je me trouvais de les aimer toutes. L’idée de n’en aimer qu’une, mais de l’aimer autrement et que cet amour ouvre à l’amour du monde ne m’effleurait pas. J’étais jeune alors, et je croyais que le monde allait s’adapter à mon désir. Les distinguos subtils entre eros, agape et philia me passaient un peu par dessus la tête. En quoi l’amour de la rousse Nadine diffère-t-il de celui de la brune Nadia, et en quoi ces amours ont-ils un socle commun, voilà une question que je cherchais à résoudre par des travaux pratiques et non par des élucubrations intellectuelles."

La boite à gâteaux, in La Vie encore, Ed. Castor Astral

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