14 août 1992

La route du retour

La longue route de retour vers Denver coupe le coin nord-est de l’Utah et revient dans le Colorado par Dinosaur, village poussiéreux d’où nous envoyons des cartes postales sauriennes à Agathe, Dorothée, Arthur et Martin. Dans un minuscule magasin de souvenirs, on peut acheter des éclats d’os pétrifiés de ces fameuses bestioles.
Un baraquement sordide affiche honteusement son enseigne : Syndicat des Mineurs. Vue d’ici la France doit être perçue comme un des derniers pays communistes [ce qu'elle est, d'ailleurs : note ajoutée en 2005].
Notre route rejoint bientôt l’US70, qui nous emmène en quelques heures à Denver. Nous passons au nord d’Aspen, et il est dommage de ne pas avoir le temps de faire le détour parce que ce nom évoque de spendides forêts de trembles au tronc blanc bien qu’il rappelle aussi les tristes exploits de Michael Plunckett, le serial killer de James Ellroy.
Arrivés à Denver en milieu d’après-midi nous trouvons difficilement un motel à proximité de l’aéroport. Ce sera finalement un motel Budget, à l’ambiance étrange, où habitent à l’année des ouvriers. Il y a un certain luxe, une piscine, mais cela n’est pas entretenu, pas plus que le patron, d’origine asiatique, ne s’entretient lui-même. Des playmates asiatiques sont omniprésentes, sur chaque mur, et l’ensemble laisse une impression de lassitude et de dégoût. On est loin de la morale vécue en Utah, USA terre de contraste, le cliché se vérifie à chaque pas.
Mais nous sommes dans notre bulle, à dix kilomètres de l’aéroport d’où nous partons dans trente six heures. Cela suffit à notre bonheur.
Denver, de jour et avec une carte lisible, plus la grande habitude que nous avons maintenant des signalisations et de la voiture nous paraît une grande ville provinciale qu’il est possible d’apprivoiser.
Dans une salle vaste comme une foire commerciale, une exposition. Nous sommes invités à entrer et déambulons un moment entre des dizaines de stands de clubs de fans de base ball. On peut acheter les photos dédicacées des vedettes et des obscurs, petites photos dans des boites en bois, badges, insignes divers.
Quand Flax vit les signatures des Cubs rassemblées dans la boite, il fut frappé de stupeur. Il examina les papiers avec révérence, et, se tournant vers moi, les larmes aux yeux, m’annonça sans ambages que cette année soixante-huit serait celle des Cubs. Il avait presque raison, bien entendu, et sans leur effondrement en fin de saison, combiné avec la percée éblouissante de ces canailles de Mets, sa prédiction se serait certainement vérifiée. Les autogaphes me rapportèrent cent cinquante dollards, ce qui couvrait plus d’un mois de loyer.
Le soir nous ressortons et allons boire des bières légères dans un bar à musique sur Arapaoe Avenue, où joue un ensemble rockabilly d’une qualité saisissante.

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