08 août 1992

Pancakes et corn syrup

Après le petit déjeuner familial, avec pancakes et corn syrup la conversation roule sur les différences de mœurs qu’on peut observer entre les Etats Unis et la France. Nous échangeons nos adresses et promettons de les accueillir en Europe une prochaine année.
Thank you for staying in our home. It was a pleasure to meet you. We hope you have a good time while you are in the United States.
This book explains the history of an ancient people who lived in America. There are explanations in the book that give more details. We believe there are important teatchings that teach about Jesus Christ and His gospel.
You are special people. Thanks for sharing some time with our family.
Alors, bon voyage !
Mr and Mrs Dean N.
E. B. Road
Ferron, Utah, 84523 USA
Le départ intervient en milieu de matinée, nous suivons une route sans grand intérêt avec arrêt repas à Provo. Dans cette ville propre sur elle, avec de grands espaces verts, je regarde un moment deux gamins jouer au base ball, s’entraîner à lancer selon le geste rituel et à attraper avec le gant.
Il s’y était adonné pendant toute son enfance. Des premiers jours boueux de début mars aux derniers après-midi glacés de fin octobre. Il jouait bien, avec une ferveur quasi-obsessionnelle. Il y trouvait non seulement le sentiment de ses propres possibilités, la conviction que les autres pouvaient avoir de la considération pour lui, mais aussi l’occasion d’échapper à la solitude de sa petite enfance. C’était à la fois, pour lui, une initiation au monde des autres et un domaine intérieur qu’il pouvait se réserver. Le base-ball offrait à sa rêverie un terrain riche en potentialités. Il fantasmait sans cesse, s’imaginait aux Polo Grounds, dans la tenue des Giants de New York, en train de rejoindre au petit trot sa place en troisième base tandis que la foule saluait d’acclamations délirantes la proclamation de son nom par les hauts-parleurs. Jour après jour, au retour de l’école, il lançait une balle de tennis contre les marches du seuil de sa maison comme si chacun de ses gestes avait fait partie du match de championnat qui se déroulait dans sa tête. Il en arrivait invariablement à la même situation en fin de partie, les Giants avaient toujours un point de retard, c’était toujours lui le batteur et il réussissait chaque fois le coup qui emportait la victoire.
Puis arrivée dans un motel La Quinta Inn (de plus en plus luxueux !) en milieu d’après-midi dans la banlieue de Salt Lake City. Sieste et boissons fraîches, nous avons tous les deux besoin de retrouver notre intimité. La nuit dernière, j’ai eu l’impression de dormir dans le lit de mon grand père, de retourner quelques générations en arrière. Ici, dans ce motel assez luxueux mais impersonnel, je me retrouve chez moi, et le lit est bon. Vais-je sortir pour aller voir Salt Lake ? Nous ne le saurons que tout à l’heure.

*

Eh oui, j’ai vu Salt Lake, Temple Square et toute cette organisation mormone-américaine autour de la mythologie issue des textes de Smith : accueil dès l’entrée, visitor center hallucinant (on peut laisser son adresse pour être contacté à la maison dans le monde entier) avec montée en colimaçon sur trois étages d’un large couloir aux murs bleu nuit constellés d’étoiles, pour déboucher sur une vaste plate forme avec sièges pour le public et sonorisation excellente pour le guide, …en présence d’un Christ immaculé, comme dans les visions de Smith, royal et mesurant plusieurs mètres de haut.
Tamera finit par se retrouver au Centre des Visiteurs, à Temple Square, où elle monta la rampe. C’était une grande allée en spirale qui s’incurvait si bien en l’air qu’on avait l’impression de monter à l’assaut d’une galaxie. Le plafond était bleu foncé et tout en haut il y avait une énorme statue de Jésus. Un bel endroit. Tamera était allée là autrefois pour être seule et méditer. On éprouvait dans cet endroit un sentiment très doux de paix. On sentait presque des puissances rôder autour de soi. Elle se mit à prier…
Les murs du rez de chaussée sont couverts de grandes fresques montrant des moments clé de l’ancien testament et du livre de Mormon, dans le style clair et illuminé des images pieuses des hagiographies de mon enfance. Dans les jardins sont érigées des statues diverses à la gloire des pionniers, dans le culte desquels il paraît de bon ton de verser. Et partout ces jeunes gens au sourire obligatoire, figé et que nous ressentons comme inauthentique : tout pour faire fuir de modestes européens septiques quoique ouverts et présentant la meilleure volonté du monde.
La ville est claire et agréable. Larges avenues à l’américaine. Américain aussi ce congrès rassemblant pour un repas des centaines de personnes dans le jardin d’un grand hôtel, sous le flot de parole d’un animateur équipé d’une sonorisation imparable. Ils ont l’air de s’ennuyer ferme mais la présence doit être obligatoire, peut-être s’agit-il d’un congrès professionnel.
Après une ballade dans la touffeur du soir, peuplée de l’autre amérique, celle des alcooliques et des blacks toxicos, paumés de toutes sortes qui dorment à même le trottoir dans le quartier de la gare routière, nous mangeons dans un restaurant pour 75 F à deux, tout va bien.

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